Avant-propos
Dans ce texte, j’apporte ma modeste contribution à la discussion sur le projet de loi sur la laïcité. J’imagine que ma vision des choses sera contestée, de façon civilisée, j’espère... Toutefois, elle s’inscrit dans une volonté de dialogue où je ne nie pas que plusieurs de nos concitoyens et concitoyennes s’inquiètent avec raison de leur identité, de l’avenir de notre langue et de notre culture.
Mais pour survivre, à quoi notre petit village gaulois francophone doit-il consacrer son énergie?
Mais pour survivre, à quoi notre petit village gaulois francophone doit-il consacrer son énergie?
A.S.
Quelle menace faut-il contrer?
D'entrée de jeu, je tiens à souligner que je suis athée, sans aucune réserve.
Dans un monde idéal, je préfèrerais
que les religions, leurs valeurs et leurs traditions, notamment celles qui
encouragent la discrimination et le sexisme contre les femmes n'aient plus
aucune influence sur nos sociétés. Or, toutes les religions, sans distinctions
traînent cette discrimination et chacune d’elles possèdent un côté vieillot,
dépassé.
Je suis donc athée et favorable à la
laïcité de l'État.
J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt ce
débat dit "identitaire" depuis les quinze dernières années.
Conclusion, je considère que nous
faisons fausse route en faisant de l'immigration et des religions, en
particulier musulmane, une menace à notre avenir collectif au Québec.
Retournons à la case départ : que
voulons-nous protéger? Bien sûr, il y a ces valeurs qui font l'objet d'un vaste consensus social comme l'égalité hommes-femmes, mais qu'est-ce qui nous distingue? Notre langue et notre culture française.
Nous sommes le petit village gaulois
qui résiste à l'invasion culturelle, anglo-saxonne et américaine depuis
quelques siècles. Dans le domaine culturel, c'est un miracle que nous ayons non
seulement conservé notre langue mais également pu construire une culture forte,
originale et distincte dans cet univers anglo-saxon en Amérique. Nous avons
développé une littérature, un univers musical et une filmographie qui font
l'envie de tout le Canada. Nous sommes l'exception culturelle. Il a
d’ailleurs fallu mener plusieurs batailles au pays et au niveau international
pour conquérir ce titre.
Et depuis quelques années, le Québec
se distingue encore à l'échelle mondiale, cette fois dans la création et l'art
numérique. Nous sommes reconnus à travers le monde dans ce domaine. C’est
un secret trop bien gardé.
Maintenant, établissons un constat
indéniable: il est juste de dire que cette langue et cette culture française
sont actuellement menacées.
Ce n’est toutefois pas par la religion
des "autres", ni par les immigrants qui globalement s'intègrent bien à la société québécoise. La menace, elle vient des géants du web qui, depuis plus de dix ans,
bousculent systématiquement notre chanson, notre littérature, nos films et
téléséries, nos documentaires et notre créativité parce que ces géants sont les
véritables propriétaires de l'écosystème numérique.
Goggle, Apple, Facebook, Amazon,
Microsoft, Netflix Spotify, et bientôt tous les autres qui produisent du contenu culturel, relègueront notre culture et notre
langue dans leur marge d'erreur.
Pourtant, tous les gouvernements qui se
sont succédés n'ont pas pris acte
de cette menace. Quand on est assiégé, on doit se doter d'une stratégie pour
contrer la menace. Se donner des outils, ériger un rempart. Or, il n'en est
rien. Ou si peu.
Nos auteurs et autrices dans le
domaine musical ne se partagent que des miettes consenties par les géants
Spotify, iTunes, You Tube et les autres plateformes musicales. Demandez à
Ariane Moffat et Pierre Lapointe combien de leurs revenus proviennent de cet
écosystème que nous ne contrôlons pas. Cherchez dans le catalogue Netflix où
logent les oeuvres cinématographiques du Québec? Elle est là la menace qui marginalise de plus en plus notre
langue, notre culture.
Or, dans un tel contexte, il n’est pas
étonnant que les moins de 30 ans soient à tel point imbibés de culture
anglo-saxonne et américaine qu’ils perçoivent la nôtre comme peu attrayante.
À l’époque où j’étais plus jeune, on
qualifiait ça d'impérialisme culturel américain. N'ayons pas peur des mots.
C'est bien de cela dont il s'agit encore aujourd’hui.
Mais pendant que cette lutte à armes
inégales laisse des victimes tout au long de la conquête territoriale des
géants du web, que faisons-nous? On se perd à agiter le foulard islamique
comme un épouvantail qui n'a rien à voir avec la "menace qui gronde",
comme le chantait si bien Daniel Lavoie ("Ils
s'aiment").
Le projet sur la laïcité?
Reconnaissons qu’il vise juste lorsqu'il s'agit d'assurer que l'État et ses
institutions soient laïques. Ce sera même inscrit dans la Charte québécoise des droits.
Selon moi, la proposition de la
Commission Bouchard-Taylor visait juste elle aussi, en insistant sur
l'obligation d'afficher une totale neutralité pour les personnes en position
d'autorité. Bien sûr, Charles Taylor a, depuis, changé de camp. Mais la
proposition reste, et Gérard Bouchard la défend toujours.
Si le gouvernement libéral précédent
n'avait pas tergiversé, cette proposition, développée en 2008, aurait
probablement rallié la grande majorité des Québécois et des Québécoises. On a
préféré ne rien faire. Conséquemment, le débat a provoqué des enflures
verbales, libéré même une parole raciste chez certains de nos citoyens et
citoyennes. Et les réseaux sociaux ont amplifié les réactions extrêmes. Tout ça
est profondément déprimant.
De plus, le dogmatisme a préséance
dans le débat public: c'est « crois ou meurs », la devise qui prime.
Tu es tolérant ou intolérant, point à la ligne. Même que se préoccuper de la
protection de notre langue et de notre culture devient presque louche, trop "identitaire"…
Fort de sa majorité à l’Assemblée
Nationale, le gouvernement de François Legault a ajouté les enseignants et
enseignantes dans les personnes en position d'autorité coercitive. L'objectif serait de
protéger les enfants d'un quelconque prosélytisme, d'une propagande religieuse
dans les écoles. J'en suis. Mais il erre et rate la cible.
Pourquoi ne pas simplement instituer
un règlement, une précision dans la loi de l'éducation, dans les conventions collectives pour faire du prosélytisme un motif de sanction pouvant aller jusqu'au congédiement. Si une personne est prise en flagrant délit de prosélytisme,
elle pourrait alors perdre son emploi.
L'avantage d'une telle proposition,
c'est de ne pas stigmatiser les signes religieux, en particulier le foulard qui
semble être la cible de cet aspect du projet de loi. Je ne suis pas un militant pour les signes religieux, je suis athée. Par contre, un tel compromis serait
viable pour plusieurs. Pas besoin ainsi de clause dérogatoire, ni de baîllon
pour mettre un terme au débat.
Et plutôt que de consacrer l'actuelle
législature à agiter et à chasser le foulard, on aurait intérêt à mener la
bataille contre les géants du web et l'impérialisme culturel américain. « Il
est là l’ennemi, l’ennemi est là », chantait Pierre Flynn(L’ennemi). Ça presse, il est à notre
porte!
Alain Saulnier
professeur et auteur
17 avril 2019
17 avril 2019
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