vendredi 31 juillet 2020

Il est plus que temps de règlementer les activités des géants du web

Il est plus que temps de règlementer les activités des géants du web.

 

Deux nouvelles ont attiré mon attention en cette fin de juillet.

La première, les superpuissances numériques, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), ont atteint ce mois-ci un poids gigantesque, soit 6,436 milliards de dollars en Bourse. Pourtant, au même moment, les États-Unis annoncent que le pays tombe dans une importante récession. En bref, la pandémie pèse lourd sur l’économie américaine, mais certainement pas sur les géants du web. De fait, les superpuissances numériques (GAFAM) sortent grandes gagnantes de la pandémie avec d'immenses bénéfices, tout ça pendant que la récession s’installe.

Ainsi, à lui seul, le géant Facebook a doublé son bénéfice net durant la pandémie, atteignant en juillet 2020, 5 milliards de dollars comparativement aux bénéfices de juillet 2019. Des analystes prévoient même qu’Apple pourrait devenir la première entreprise à passer la barre des 2000 milliards de dollars à la Bourse.

La deuxième nouvelle, c’est que l’Australie a annoncé le dépôt d’un projet de loi qui vise à contraindre Google et Facebook à rémunérer les médias pour leurs contenus. Très bonne nouvelle. En effet, nos médias sont toujours en difficulté et leur situation a empiré depuis le début de la pandémie.

Ces deux nouvelles devraient interpeller au plus haut point le gouvernement canadien.

D’abord, il est temps de sonner la fin de la récréation pour les superpuissances numériques. Elles ne paient toujours pas de TPS, se défilent devant leurs obligations de payer des impôts pour leurs activités au Canada et bafouent les droits d’auteurs.

De plus, il serait temps de leur lancer un signal clair. Les superpuissances numériques doivent accepter la règlementation des États nationaux. Point à la ligne.

Vivement que cela se fasse!

Enfin, ces superpuissances devraient être mises à contribution pour éponger les immenses dettes publiques accumulées par les États, en raison de l’actuelle pandémie. Comment les obliger à le faire? Ce sont les États qui doivent les y obliger. Ça prendra de l’audace. À quand le tour du Canada de contraindre les géants du web à se comporter comme de bons citoyens corporatifs? Le gouvernement canadien est-il audacieux? Le débat doit se faire, et vite.

 

Alain Saulnier

Professeur invité

Département de communication

Université de Montréal

 

mardi 7 juillet 2020

La DPCP en appelle du jugement impliquant le chef du groupe d'extrême-droite Atalante

Suis ravi que la DPCP en appelle de ce jugement aberrant qui libérait le leader du groupe d’extrême-droite Atalante de tous les chefs d'accusation contre le journaliste Simon Coutu et Vice. Comme je l’ai écrit dans mon blogue, la juge confondait intimidation et liberté d’expression. La DPCP demande de renverser le jugement sur deux chefs d'accusation, introduction par effraction et méfait. Elle ne demande pas de reprendre la cause sur les chefs d'accusation de harcèlement et d'intimidation, ce qui est dommage. Dans une perspective juridique, la DPCP veut évidemment gagner à tout prix. Pour en appeler du jugement, elle a donc privilégié deux autres chefs d'accusation que ceux d'intimidation et de harcèlement. Dans une perspective journalistique, ce jugement est totalement aberrant à tous les points de vue. Mais bon, le plus important est qu'il soit porté en appel. Au moins, le jugement pourrait alors être renversé sur les chefs d'accusation "introduction par effraction" et "méfait". Ce qui limiterait les dégâts.
À titre de rappel, dans son jugement, la juge Roy avait posé la bonne question:
"[165] Ainsi, est-ce que le fait de pénétrer dans un lieu, à plusieurs qui portent des masques, un même chandail, font jouer de la musique, apportent des fleurs, distribuent des épigrammes et des nez de clown et remettent un trophée factice, constitue un comportement menaçant à l’égard d’une personne aux termes de cet article?"
Mais surprise, elle avait répondu par la négative à sa question. Pourtant, imaginez six gaillards masqués appartenant à un groupe d'extrême-droite, entrer sans permission sur votre lieu de travail. Vous concluez quoi? Que ce sont des amis?? Que c'est la fête??
Vivement que ce jugement soit renversé

Alain Saulnier

jeudi 2 juillet 2020

Trop tôt pour un bilan, quoi que...

Premier constat, nous n'étions pas prêts
Il est trop tôt pour dresser un bilan, quoi qu'il ne l'est pas pour y aller d'une analyse plus en profondeur. Car la réalité saute aux yeux: nous comptons au Québec les deux tiers des morts de la COVID-19 au Canada. Pourtant, on y retrouve moins du quart de la population. Alors, pourquoi?
Nous n'étions pas prêts, voilà tout.

Deuxième constat: le gâchis des CHSLD
On ne compte plus les morts dans les CHSLD. Au départ, la seule stratégie pour combattre la COVID-19 visait à protéger les hôpitaux. On redoutait que les hôpitaux ne soient débordés. Il fallait aplatir la courbe pour protéger les hôpitaux. C'est là qu'on attendait la vague.
L'attaque de la COVID-19 n'est pas venue de ce côté. Le coronavirus a plutôt frappé de plein fouet nos institutions les plus vulnérables, les CHSLD. On aurait d'ailleurs pu parler de chronique d'une mort annoncée.
En effet, depuis plus de vingt ans, les gouvernements successifs ont sabré dans les budgets destinés aux CHSLD. On a même démantelé le modèle institutionnel des CHSLD pour donner un plus grand espace à l'entreprise privée. Au nom de l'obsession de la Droite pour le déficit Zéro, on a réduit les allocations budgétaires, année après année. S'ensuivirent une dégradation des conditions de travail du personnel et un sous-financement des établissements.
Avant la crise sanitaire, travailler comme préposé aux bénéficiaires dans un CHSLD, c'était déjà aller au combat sous-équipé. La COVID-19 a agit comme le détonateur d'une bombe qui a éclaté, causant le désastre que l'on connaît. Conséquemment, les deux tiers des personnes décédées sont mortes seules, quasi abandonnées dans un CHSLD ou une résidence pour aînés, sans qu'un proche ou un employé puisse même leur tenir la main. Un gâchis, total. Une honte comme société. Rien de moins.
Le seul baume, c'est qu'on a enfin donné de meilleurs salaires au personnel. Ces travailleurs et travailleuses pour la plupart d'origine immigrante, ont enfin été reconnus comme "des nôtres", après tant de dévouement et de travail.
Le bilan est lourd, car personne à la santé publique et au gouvernement n'avait prévu la situation dans les CHSLD et encore moins planifié une stratégie adéquate pour y faire face. Un véritable gâchis. Nous n'étions pas prêts.

Troisième constat: les journalistes et les stratégies de communication
Le mentor des journalistes de ma génération, Florent Sauvageau, écrivait dans Le Devoir (29 mai 2020) "Je ne me souviens pas d’un conflit ou d’une crise où les médias ont à ce point joué leur rôle de témoins d’une actualité incertaine et angoissante et de serviteurs de la démocratie."
Il est vrai que les journalistes ont rapidement bien saisi leur rôle. D'une part, par une présence soutenue au coeur de la communication entre l'État et les citoyens. Mission accomplie. Les journalistes ont aussi servi l'intérêt public par des reportages facilitant une meilleure compréhension des enjeux reliés à la COVID-19.
En revanche, dès les premiers jours, des citoyens se sont mis à sermonner les journalistes lorsqu'ils et elles ont émis des points de vue trop critiques et posé des questions plus serrées au triumvirat, le premier ministre François Legault, la ministre de la santé, Danielle McCann, et Horacio Arruda, le grand responsable de la Santé publique.
Déstabilisant pour les journalistes, tout ça. Sur Twitter et Facebook, plusieurs internautes sont même allés jusqu'à placer les journalistes dans le camp de l'ennemi. Pourtant, garder l'esprit critique, n'est-ce pas à la base du métier de journaliste?
De superbes reportages ont été produits. Des journalistes se sont rendus sur place, dans les CHSLD, pour constater les dégâts, tout en donnant un véritable coup de main. Chapeau!
D'autres, ont recensé tout ce qui se faisait ailleurs dans le monde et ce qu'écrivaient les scientifiques dans les revues médicales. Mettre les choses en perspectives, n'est-ce pas aussi le rôle des journalistes?
Plus tard, les journalistes les plus courageux ont osé remettre en question la stratégie du gouvernement et celle de son communicateur en chef Horacio Arruda. Ces journalistes ont été cloués au pilori sur les réseaux sociaux. Comment pouvait-on oser toucher au premier ministre et à son équipe? Honte aux journalistes, semblaient clamer plusieurs.

Il reste qu'on peut aussi formuler des critiques sur le travail des médias et des journalistes. La première, c'est qu'on n'a pas accordé suffisamment de place aux journalistes scientifiques. Pourtant leur expertise est déterminante dans ce genre de situation. Où étaient-ils lors des points de presse quotidiens? N'aurait-il pas été souhaitable d'entendre les questions de journalistes-experts lors des points de presse en plus des journalistes parlementaires de la Tribune de la presse à l'Assemblée Nationale?
Par conséquent, la stratégie quotidienne de communication du triumvirat a occupé beaucoup trop de place dans l'espace médiatique, mettant ainsi les journalistes et les médias trop à la remorque des points de presse. Le poids des chiffres et des statistiques quotidiennes ont occupé tout le terrain. Or, trop collé sur l'arbre, on ne distingue pas très bien la forêt derrière.
Le fait de tenir ces conférences à la Tribune de la presse a aussi placé l'analyse et les questions des journalistes dans le champ de la communication gouvernementale. Par conséquent, trop peu de place a été accordée aux experts que sont les journalistes scientifiques. On les a ignorés. Il aurait été opportun de les inclure dès le début à la Tribune de la presse. Selon mes informations, on n'a pas voulu leur faciliter l'accès à la tribune de la presse. C'est regrettable. Imaginez combien nous aurions été mieux informés si, en plus des journalistes de l'Assemblée Nationale, nous aurions pu compter lors des points de presse sur la présence sur place de journalistes scientifiques de l'Agence Science Presse, ou d'autres, par exemple, des émissions scientifiques de Radio-Canada.

Dans une telle stratégie de communication, les journalistes n'ont pas pu suffisamment aborder le questionnement fondamental sur l'Après. Par exemple, approfondir le lien entre l'environnement et l'apparition de ce virus mortel. Et donc, parler de "l'Après COVID-19".
Il nous faut privilégier du journalisme plus critique et plus en profondeur.

Quatrième constat, la crise des médias et la COVID-19
La crise du coronavirus a fait s'effondrer ce qui restait du modèle d'affaires déjà ébranlé de nos médias québécois. Tous, certains plus que d'autres, y ont perdu des sommes importantes, les obligeant à effectuer des mises à pied et des compressions de dépenses. Pendant ce temps, les géants du web comme Google, Apple, Facebook et Microsoft ont engrangé des revenus importants. Ainsi, pour la même période en 2019, Facebook a doublé ses bénéfices dans le premier trimestre de 2020, soit la période où a frappé la COVID-19. De janvier à la fin mars, Microsoft a réalisé d'importants bénéfices. Tout comme Google/Alphabet et Apple, les superpuissances numériques américaines ont toutes profité de la dépendance numérique accrue de la population confinée à la maison.



Du côté des médias, on attend toujours l'aide financière promise par le gouvernement fédéral à l'automne... 2018! De plus, le Canada n'a toujours pas de plan stratégique clair afin d'obliger les géants du web à verser leur juste part d'impôts dans les coffres de l'État. C'est aussi l'attentisme à l'égard des négociations de l'OCDE qui ont été ralenties par...la COVID-19. Le Canada et le Québec s'en remettent à une solution négociée sur le plan international plutôt que d'attaquer de front le GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). L'OCDE avait promis d'accoucher d'une formule de régulation des superpuissances numériques avec les États membres avant l'été 2020. On connaît la suite.

Conclusion
Au tout début de la crise sanitaire, on entendait tout le monde dire, que ce virus était un avertissement que nous lançait la planète. Tout le monde reprenait en choeur, "les choses ne doivent plus jamais être pareilles".
Or, aujourd'hui, il n'en est rien.
La seule stratégie de sortie de crise des autorités gouvernementales, semble être de relancer l'économie à tout prix. Redémarrer la consommation, les activités économiques, le transport aérien, avec en prime, le retour en force de la pollution. Le projet de loi 61 de la CAQ aurait écarté les mesures trop contraignantes sur le plan de l'environnement afin de favoriser la "reprise" économique.
On déconfine, on relance l'économie, mais pour faire quoi?
Faire comme avant la COVID-19?
S'agit-il de relancer l'économie à tout prix, ou de repenser notre relation avec l'environnement, revoir notre mode de vie où la surconsommation détruit la biodiversité sur la planète? Faut-il vraiment avoir comme seul indice d'évaluation, celui de la croissance? Et si on devait oser envisager la décroissance comme remède?
Quelle est la stratégie pour "réinventer" notre mode de vie, de consommation et de production? Faire preuve de "créativité"?  Faire comme si de rien n'était?

Alain Saulnier
professeur invité
département de communication
Université de Montréal

Merci 2022. Place à 2023

  Merci 2022! En janvier, je mettais fin à dix années comme professeur au DESS en journalisme à l’Université de Montréal. 2022 restera une a...