vendredi 18 mai 2018

Le projet de loi sur l'accès à l'information: un petit pas de tango


Avant-propos
Je suis avec intérêt tous les débats entourant la loi d'accès à l'information. Avec plusieurs collègues dont Jean Paré, le "père" de la Loi d'accès à l'information au Québec, nous avons dénoncé en mars dernier, la loi 164 qui a eu pour effet de restreindre davantage l'accès à des documents ministériels du gouvernement québécois. Décision décevante, puisque les trois principaux partis politiques à l'Assemblée Nationale avaient fait front commun contre l'intérêt public. Nous étions loin de l'engagement du premier ministre Couillard de diriger le gouvernement le plus transparent de l'Histoire du Québec.
Le 2 mai dernier, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) et les directions des grands médias du Québec pressaient le gouvernement québécois de déposer rapidement la nouvelle loi d'accès à l'information promise par la ministre responsable Kathleen Weil. 
Le 17 mai, la ministre a finalement déposé son projet de loi. Avec mes collègues Monique Dumont et André Noël, nous avons tenu à contribuer au débat public avec nos premières impressions sur ce projet de loi. Le texte qui suit est donc signé par nous trois.


Le projet de loi sur l’accès à l’information : un petit pas de tango

L’ensemble du projet de loi 179, qui vient modifier la Loi d’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (la Loi d’accès), donne l’impression d’un tango mal dansé, avec des pas en avant, suivis de pas en arrière. «Trop peu, trop tard», comme le dit la FPJQ dans son communiqué.

Cela dit, le projet de loi compte bel et bien quelques avancées. Des avancées qui sont le résultat direct des pressions exercées ce printemps par la FPJQ et les directeurs de presque tous les médias d’importance au Québec. Rappelons que ces derniers terminaient ainsi leur lettre ouverte, publiée le 2 mai : «Nous vous demandons de déposer et faire adopter un nouveau projet de loi sur l’accès à l’information avant la prochaine élection. Le dépôt de ce projet de loi sera l’occasion de le soumettre à un examen approfondi du public et des experts en ce domaine afin de corriger les lacunes actuelles de la loi. Le temps presse.»

Petite victoire, donc : un projet de loi a été déposé. Déception prévisible : le gouvernement Couillard a attendu à la dernière minute pour le déposer… tout en se préparant à ne pas l’adopter, faute de temps. Mais si des pressions continuent de s’exercer, le prochain gouvernement – quel qu’il soit – devra bien moderniser et modifier la Loi d’accès en profondeur. Il ne pourra pas proposer moins que ce que propose le projet de loi 179. Il pourra seulement proposer plus.

Nous avons fait une analyse rapide des nouvelles dispositions. En voici les grandes lignes.

Il est intéressant de noter, dès l’article 2, que le projet de loi considère «qu’une administration publique transparente et ouverte favorise la saine gouvernance, l’imputabilité et la participation citoyenne». Cela devra demeurer tel quel dans un éventuel prochain projet de loi. Mais ensuite, pourquoi tempérer l’importance de ce principe en ajoutant «l’importance de maintenir la capacité du gouvernement de fonctionner efficacement»? C’est justement la transparence qui permet au gouvernement de fonctionner efficacement et dans l’intérêt public. Cette dernière notion – l’intérêt public – doit d’ailleurs figurer, selon nous, parmi les «considérant».

Cette fausse opposition entre efficacité et transparence vient contaminer toute la Loi d’accès et atténuer sa portée. L’article 3 du projet de loi 179 stipule avec raison que les restrictions au droit d’accès doivent être «précises et limitées». Les restrictions prévues à l’article 37 de la Loi actuelle, et derrière lesquelles se réfugient régulièrement les organismes publics pour refuser l’accès à leurs documents, sont ainsi un peu mieux précisées. Cet article 37 stipule que «Un organisme public peut refuser de communiquer un avis ou une recommandation faits depuis moins de dix ans». Le projet de loi 179 précise entre autres choses que «ne constituent pas un avis, une recommandation ou une analyse […] une information factuelle [et] une donnée statistique.» C’est insuffisant, mais c’est un pas en avant.

Le projet de loi n’abroge pas la disposition touchant les demandes «abusives», souvent invoquée par des organismes réticents à donner accès à leurs documents.

N’est toujours pas accessible «un document produit par un ministre ou par son cabinet; par un membre de l’Assemblée nationale; […] par un membre d’un organisme municipal ou scolaire, par son bureau ou par son cabinet; par les services de l’Assemblée nationale, pour un des membres de celle-ci. Le ministre ou le membre peut rendre accessible un tel document s’il le juge opportun.». Cela signifierait-il, par exemple, que les documents produits par le ministre de la Santé ou son cabinet sur les réformes des récentes années ne peuvent pas être connus du public?

L’article 8 précise que le responsable de l’accès au sein d’un organisme est généralement un sous-ministre ou un directeur général, et non pas une personne occupant une fonction politique comme un ministre. Mais rien n’interdit spécifiquement à un ministre ou une personne occupant une fonction politique de s’informer des demandes d’accès visant son organisme.

Une disposition importante de la Loi d’accès, qui prévoyait la divulgation de la partie publique des mémoires au conseil des ministres, a été abrogée l’hiver dernier, avec l’adoption à la sauvette de la loi 164 (Loi concernant l’accessibilité de certains documents du Conseil exécutif ou qui lui sont destinés). Résultat : les Québécois ne pourront pas comprendre sur quoi le gouvernement s’est basé pour adopter telle ou telle loi. Le projet de loi 179 apporte une nuance en autorisant le secrétaire général du Conseil exécutif «à communiquer un renseignement visé» avant l’expiration d’un délai de 15 ans «lorsqu’il estime que sa divulgation est manifestement dans l’intérêt public». Voilà aussi qui est insuffisant. Dans ce cas, le gouvernement devra respecter l’ordre qui lui a été donné par la Cour d’appel dans la cause de Radio-Canada sur le dossier des orphelins de Duplessis et faire en sorte que des parties cruciales des mémoires au conseil des ministres soient automatiquement accessibles.

L’article 5 du projet de loi 179 élargit l’accès aux documents des organismes paramunicipaux, ce qui est une bonne chose, mais voilà une figure de tango ratée où le danseur écrase les pieds de sa partenaire en ajoutant que cette disposition touche seulement les organismes «dont les revenus annuels sont égaux ou supérieurs à 1 000 000$ et dont une municipalité contribue à plus de la moitié du financement».

Saluons ces nouvelles dispositions qui obligeraient les organismes publics à «adopter un plan de diffusion de documents et renseignements accessibles», qui seraient publiés sur Internet (art. 34). Mais nous soulignons que bien des organismes publics violent depuis des années de nombreuses dispositions de la Loi, par exemple en ne dressant pas une liste complète et accessible de leurs documents ou en ne répondant pas aux demandes d’accès dans les délais requis. La Commission d’accès a elle-même demandé au gouvernement d’avoir le pouvoir de sanctionner et de mettre les organismes fautifs à l’amende, mais le projet de loi 179 ne lui octroie toujours pas ce pouvoir. C’est bien d’avoir une belle loi et de beaux principes, mais encore faut-il que le refus de nombreux organismes de s’y plier soit sévèrement puni, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à maintenant. Une situation qui n’est toujours pas corrigée. À défaut d’un mécanisme de sanction efficace (et confié à la CAI), l’augmentation des amendes prévue par l’article 76 du projet de loi 179 ne signifie pas grand chose.

Enfin, comme le souligne la FPJQ, «rien n’oblige les organismes à documenter leurs décisions, ce qui signifie qu’un ministère, une municipalité ou n’importe quel organisme public peut adopter une loi ou un règlement sans avoir à produire des documents justificatifs». Bref, la promesse du premier ministre Philippe Couillard d’assurer la plus grande transparence du gouvernement québécois n’est jusqu’à maintenant… qu’une promesse.

Les journalistes et la société civile devront accroître leurs pressions. La meilleure solution consisterait à créer une nouvelle commission pour modifier en profondeur la Loi d’accès, une commission indépendante du gouvernement qui ferait des recherches et qui mènerait des consultations, à l’image de la commission créée par le gouvernement de René Lévesque et qui avait été dirigée par le journaliste Jean Paré, il y a de cela plus de trois décennies.

Monique Dumont, André Noël, Alain Saulnier
18 mai 2018

mardi 8 mai 2018

La Presse devient la propriété d'une OBNL

Personne n'avait vu venir le coup. La Presse, propriété de Power Corporation, devient une organisation à but non lucratif, une OBNL.
Mettons les choses au clair. La Presse est un grand média qui compte dans ses rangs plusieurs des meilleurs journalistes et chroniqueurs au Québec. Les Yves Boisvert, Nathalie Collard, Agnès Gruda, Patrick Lagacé, Michèle Ouimet (nouvellement retraitée), Laura-Julie Perrault, et bien d'autres,  contribuent jour après jour à enrichir le débat public au Québec et nous ouvrir au monde. Nous en avons grandement besoin.
Lorsque La Presse+ a été créée, j'ai salué l'audace de ses propriétaires. C'était tout un pari, mais il valait la peine d'essayer. Les propriétaires de La Presse suscitaient l'espoir que le passage au numérique pour les grands médias traditionnels était du domaine du possible. On a aussi salué cette audace ailleurs dans le monde.
Or, personne à l'époque n'aurait pu prévoir à quelle vitesse vertigineuse les géants du web comme Facebook et Google s'apprêtaient à tout balayer sur leur passage. Ils établissent totalement leur suprématie dans l'univers numérique. Ils en sont les véritables propriétaires. Aujourd'hui, près de 80% des revenus publicitaires en ligne sont accaparés à eux seuls, par ces deux géants du web. Du jamais vu! Le pire, c'est que non seulement ils accaparent les recettes publicitaires, mais ils piratent gratuitement les contenus des journalistes...sans rendre de compte à personne. De plus, 70% des moins de 35 ans s'informent maintenant principalement par l'intermédiaire de Facebook. J'ai souvent dit aux plus jeunes à quel point ils contribuaient à affaiblir nos médias nationaux en les boudant au profit de Facebook. Nos médias et nos cultures nationales se font ainsi littéralement écraser par ces géants du web.
Il faudra bien un jour s'atteler à la tâche de sauver nos informations et notre culture. Mais comment, quel est le bon modèle d'affaires? Voilà la question.
La Presse doit rester en vie et en bonne santé. Elle est essentielle. Chaque média menacé signifie un affaiblissement de la diversité d'opinion et de la liberté d'expression au Québec. C'est inquiétant pour l'avenir de notre société et pour notre démocratie.
En attendant, une OBNL prend le relais. Un autre pari audacieux. Tant mieux si cela fonctionne, mais il s'agit d'une solution vulnérable. Miser sur les fonds publics et la philanthropie, est-ce là le modèle d'affaires alternatif? Tous les médias rivaliseront les uns avec les autres pour obtenir leur financement respectif. La dépendance à l'égard des fonds publics comporte aussi sa zone d'ombre selon les gouvernements élus. Quant aux milliardaires philanthropes, ils ne courent pas les rues non plus.
Je souhaite bonne chance à ce projet. Nous avons besoin de journalistes rigoureux et solides pour contrer la désinformation qui prend trop d'espace sur Facebook et les réseaux sociaux.

Merci 2022. Place à 2023

  Merci 2022! En janvier, je mettais fin à dix années comme professeur au DESS en journalisme à l’Université de Montréal. 2022 restera une a...