Avant-propos
Je suis avec intérêt tous les débats entourant la loi d'accès à l'information. Avec plusieurs collègues dont Jean Paré, le "père" de la Loi d'accès à l'information au Québec, nous avons dénoncé en mars dernier, la loi 164 qui a eu pour effet de restreindre davantage l'accès à des documents ministériels du gouvernement québécois. Décision décevante, puisque les trois principaux partis politiques à l'Assemblée Nationale avaient fait front commun contre l'intérêt public. Nous étions loin de l'engagement du premier ministre Couillard de diriger le gouvernement le plus transparent de l'Histoire du Québec.
Le 2 mai dernier, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) et les directions des grands médias du Québec pressaient le gouvernement québécois de déposer rapidement la nouvelle loi d'accès à l'information promise par la ministre responsable Kathleen Weil.
Le 17 mai, la ministre a finalement déposé son projet de loi. Avec mes collègues Monique Dumont et André Noël, nous avons tenu à contribuer au débat public avec nos premières impressions sur ce projet de loi. Le texte qui suit est donc signé par nous trois.
Le projet de loi sur
l’accès à l’information : un petit pas de tango
L’ensemble
du projet de loi 179, qui vient modifier la Loi d’accès aux documents des
organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (la Loi
d’accès), donne l’impression d’un tango mal dansé, avec des pas en avant,
suivis de pas en arrière. «Trop peu, trop tard», comme le dit la FPJQ dans son
communiqué.
Cela
dit, le projet de loi compte bel et bien quelques avancées. Des avancées qui
sont le résultat direct des pressions exercées ce printemps par la FPJQ et les
directeurs de presque tous les médias d’importance au Québec. Rappelons que ces
derniers terminaient ainsi leur lettre ouverte, publiée le 2 mai : «Nous vous demandons de déposer et faire adopter un nouveau projet de loi
sur l’accès à l’information avant la prochaine élection. Le dépôt de ce projet
de loi sera l’occasion de le soumettre à un examen approfondi du public et des
experts en ce domaine afin de corriger les lacunes actuelles de la loi. Le
temps presse.»
Petite victoire, donc : un projet de
loi a été déposé. Déception prévisible : le gouvernement Couillard a attendu à la dernière minute pour le
déposer… tout en se préparant à ne pas l’adopter, faute de temps. Mais si des
pressions continuent de s’exercer, le prochain gouvernement – quel qu’il soit –
devra bien moderniser et modifier la Loi d’accès en profondeur. Il ne pourra
pas proposer moins que ce que propose
le projet de loi 179. Il pourra seulement proposer plus.
Nous
avons fait une analyse rapide des nouvelles dispositions. En voici les grandes
lignes.
Il est intéressant de noter, dès l’article 2, que le projet
de loi considère «qu’une administration publique transparente et ouverte
favorise la saine gouvernance, l’imputabilité et la participation citoyenne».
Cela devra demeurer tel quel dans un éventuel prochain projet de loi. Mais
ensuite, pourquoi tempérer l’importance de ce principe en ajoutant «l’importance
de maintenir la capacité du gouvernement de fonctionner efficacement»? C’est
justement la transparence qui permet au gouvernement de fonctionner
efficacement et dans l’intérêt public. Cette dernière notion – l’intérêt public
– doit d’ailleurs figurer, selon nous, parmi les «considérant».
Cette fausse opposition entre efficacité et transparence
vient contaminer toute la Loi d’accès et atténuer sa portée. L’article 3 du
projet de loi 179 stipule avec raison que les restrictions au droit d’accès
doivent être «précises et limitées». Les restrictions prévues à l’article 37 de
la Loi actuelle, et derrière lesquelles se réfugient régulièrement les
organismes publics pour refuser l’accès à leurs documents, sont ainsi un peu
mieux précisées. Cet article 37 stipule que «Un organisme public peut refuser
de communiquer un avis ou une recommandation faits depuis moins de dix ans». Le
projet de loi 179 précise entre autres choses que «ne constituent pas un avis,
une recommandation ou une analyse […] une information factuelle [et] une donnée
statistique.» C’est insuffisant, mais c’est un pas en avant.
Le projet de loi n’abroge pas la disposition touchant les
demandes «abusives», souvent invoquée par des organismes réticents à donner
accès à leurs documents.
N’est toujours pas accessible «un document produit par un
ministre ou par son cabinet; par un membre de l’Assemblée nationale; […] par un
membre d’un organisme municipal ou scolaire, par son bureau ou par son cabinet;
par les services de l’Assemblée nationale, pour un des membres de celle-ci. Le
ministre ou le membre peut rendre accessible un tel document s’il le juge
opportun.». Cela signifierait-il, par exemple, que les documents produits par
le ministre de la Santé ou son cabinet sur les réformes des récentes années ne
peuvent pas être connus du public?
L’article 8 précise que le responsable de l’accès au sein
d’un organisme est généralement un sous-ministre ou un directeur général, et
non pas une personne occupant une fonction politique comme un ministre. Mais
rien n’interdit spécifiquement à un ministre ou une personne occupant une
fonction politique de s’informer des demandes d’accès visant son organisme.
Une disposition importante de la Loi d’accès, qui prévoyait
la divulgation de la partie publique des mémoires au conseil des ministres, a été
abrogée l’hiver dernier, avec l’adoption à la sauvette de la loi 164 (Loi
concernant l’accessibilité de certains documents du Conseil exécutif ou qui lui
sont destinés). Résultat : les Québécois ne pourront pas comprendre sur
quoi le gouvernement s’est basé pour adopter telle ou telle loi. Le projet de
loi 179 apporte une nuance en autorisant le secrétaire général du Conseil
exécutif «à communiquer un renseignement visé» avant l’expiration d’un délai de
15 ans «lorsqu’il estime que sa divulgation est manifestement dans l’intérêt
public». Voilà aussi qui est insuffisant. Dans ce cas, le gouvernement devra
respecter l’ordre qui lui a été donné par la Cour d’appel dans la cause de Radio-Canada
sur le dossier des orphelins de Duplessis et faire en sorte que des parties
cruciales des mémoires au conseil des ministres soient automatiquement
accessibles.
L’article 5 du projet de loi 179 élargit l’accès aux
documents des organismes paramunicipaux, ce qui est une bonne chose, mais voilà
une figure de tango ratée où le danseur écrase les pieds de sa partenaire en
ajoutant que cette disposition touche seulement les organismes «dont les
revenus annuels sont égaux ou supérieurs à 1 000 000$ et dont une municipalité
contribue à plus de la moitié du financement».
Saluons ces nouvelles dispositions qui obligeraient les
organismes publics à «adopter un plan de diffusion de documents et
renseignements accessibles», qui seraient publiés sur Internet (art. 34). Mais
nous soulignons que bien des organismes publics violent depuis des années de
nombreuses dispositions de la Loi, par exemple en ne dressant pas une liste
complète et accessible de leurs documents ou en ne répondant pas aux demandes
d’accès dans les délais requis. La Commission d’accès a elle-même demandé au
gouvernement d’avoir le pouvoir de sanctionner et de mettre les organismes
fautifs à l’amende, mais le projet de loi 179 ne lui octroie toujours pas ce
pouvoir. C’est bien d’avoir une belle loi et de beaux principes, mais encore
faut-il que le refus de nombreux organismes de s’y plier soit sévèrement puni,
ce qui n’a pas été le cas jusqu’à maintenant. Une situation qui n’est toujours
pas corrigée. À défaut d’un mécanisme de sanction efficace (et confié à la
CAI), l’augmentation des amendes prévue par l’article 76 du projet de loi 179
ne signifie pas grand chose.
Enfin,
comme le souligne la FPJQ, «rien n’oblige les
organismes à documenter leurs décisions, ce qui signifie qu’un ministère, une
municipalité ou n’importe quel organisme public peut adopter une loi ou un
règlement sans avoir à produire des documents justificatifs». Bref, la promesse du premier
ministre Philippe Couillard d’assurer la plus grande transparence du
gouvernement québécois n’est jusqu’à maintenant… qu’une promesse.
Les journalistes et la société civile devront accroître
leurs pressions. La meilleure solution consisterait à créer une nouvelle
commission pour modifier en profondeur la Loi d’accès, une commission
indépendante du gouvernement qui ferait des recherches et qui mènerait des
consultations, à l’image de la commission créée par le gouvernement de René
Lévesque et qui avait été dirigée par le journaliste Jean Paré, il y a de cela
plus de trois décennies.
Monique Dumont, André Noël, Alain Saulnier
18 mai 2018