vendredi 23 mars 2018



Appel à l’aide des médias

Les pressions en faveur d’une aide aux médias ont été nombreuses au cours de la dernière année. Malgré les pétitions, les coalitions, le dernier budget fédéral n’a répondu à cet appel que par une aide destinée aux médias locaux. On souhaite que dans le prochain budget Leitao, le gouvernement québécois réponde favorablement et convenablement à cet appel à l'aide.
Pourtant, l’enjeu est majeur. Pendant qu’on refuse de voir la réalité en face, Google et Facebook engrangent les recettes publicitaires. Aujourd’hui 75% des revenus publicitaires en ligne sont détournés vers ces géants du web.
À ce jour, la seule embellie dans l’univers des médias au pays a été le versement d’un budget de 675 millions à Radio-Canada.
De leur côté, les médias écrits peinent à faire ce passage au numérique tant l’investissement nécessaire est important. Et même une fois ce passage franchi, ils constatent que leur modèle d’affaires basé sur les revenus publicitaires ne tient plus la route. En effet, nos médias nationaux ne font pas le poids face à l’appétit vorace des véritables propriétaires du numérique, les fameux géants du GAFA.

Appui timide
Quant au soutien de la population, il ne se manifeste encore que trop timidement. Cette prise de conscience se constate surtout chez le groupe d’âge des 50 ans et plus. Chez les plus jeunes, très peu. Rien d’étonnant à cela. Facebook est devenu la principale porte d’entrée vers l’information. Depuis dix ans : 71% des Canadiens francophones de moins de 35 ans et 55% tous âges confondus se tournent majoritairement vers Facebook comme porte d'entrée vers l'information, selon le Digital News report Canada 2017.  (http://www.digitalnewsreport.org/survey/2017/canada-2017/).

On a le sentiment que les gouvernements ne voient pas le iceberg droit devant.
Aussi, ai-je été surpris, il y a quelques jours, des propos de la ministre de Patrimoine Canada Mélanie Joly. « Ottawa hausse le ton face aux géants du web », titrait Le Devoir (http://www.ledevoir.com/politique/canada/522578/melanie-joly-face-aux-geants-du-web). La ministre précisait que les GAFA devront «respecter nos politiques culturelles, et aussi mieux répartir les bénéfices liés à leur modèle d’affaires». 
Vaut mieux tard que jamais, me direz-vous ? Les ministres des finances du G-20 ont aussi abordé la question de la fiscalité des géants du web lors de leur dernière réunion. Quant à l'Union européenne, elle envisage d'imposer 3% des revenus des géants du web. Il y a du mouvement dans l'ère numérique...À suivre, donc.

Toutefois, les pressions exercées auprès des gouvernements pour que les géants du web puissent "mieux répartir les bénéfices liés à leur modèle d’affaires", constitue une chose. Ça ne règle pas tout. En effet, les médias et le milieu journalistique ont un autre défi: sensibiliser les citoyens et les citoyennes de tous les âges à la menace qui plane.

Information et désinformation
Mais comment prendre conscience d’une telle situation quand on peut s’informer partout en cette ère numérique ? Car ce qui caractérise notre époque, ce n’est certainement pas le manque d’informations. Il y a plutôt surabondance d’informations (et de désinformation, j’en conviens…). Malheureusement, les plus jeunes ne distinguent pas réellement la différence qu’offrent les médias nationaux. Sans compter que les articles les plus percutants (mais pas seulement ceux-là…) se retrouvent sur les réseaux sociaux. D'autres contenus rivalisent à armes très inégales avec l'offre d'informations des réseaux sociaux et d'internet. Parfois même, les médias s'obstinent à reproduire des informations qui se retrouvent accessibles sur Facebook et Twitter.

En ce sens, je considère que les médias n’ont pas suffisamment pris acte de ces bouleversements dans l’univers de l’information.
De nos jours, les médias doivent proposer autre chose que ce qu’on retrouve déjà sur les réseaux sociaux.
Pour demeurer pertinents, les journalistes doivent sans relâche faire la preuve de leur utilité auprès de la population. Offrir une valeur ajoutée.

Offrir une valeur ajoutée
Comment ?
Faire de l’enquête. C’est à mon avis ce qui démarquent le plus les journalistes de tout-un-chacun qui écrit sur les réseaux sociaux et sur des blogues. Or, on n’a malheureusement pas encore fait le plein de journalisme d’enquête dans les médias du Québec. Les propriétaires et les directions des médias doivent investir à fond dans cette voie.
Le rôle des journalistes est également d’accompagner les citoyens et les citoyennes pour démêler cette surabondance d’informations. Les journalistes peuvent devenir les meilleur.e.s pour expliquer l’actualité.
Comment ? En mettant les informations en perspective.  Notamment, en rappelant le contexte historique de certains dossiers et décisions.
En cette époque où la désinformation envahit les réseaux sociaux, il est crucial de valider les informations et de contrer la désinformation. Certains médias offrent d’excellents paratonnerres contre les fausses nouvelles, par la validation des informations. Et ils le font plutôt bien.
Toutefois, pour contrer la désinformation, les journalistes devront se spécialiser davantage afin de bien décortiquer certains univers où il est facile pour certaines entreprises de leurrer les gens. Par exemple, dans l’industrie pharmaceutique ou dans la recherche médicale.

De plus, les médias devraient offrir davantage de tribunes en faisant appel à des experts. Les médias québécois continuent trop à afficher du mépris envers les experts universitaires (l’attitude inverse est aussi vraie, je le constate dans mon milieu). Pourtant, cette expertise existe à portée de la main. On s'en remet trop à des observateurs et observatrices qui n'ont pas nécessairement une expertise suffisamment aiguisée.

Par ailleurs, on sent moins d’appétit pour l’information internationale du côté des directions des médias. Pourtant, elle est essentielle à une meilleure compréhension du monde, de notre monde.

Enfin, les journalistes et les médias du Québec, devraient davantage parler de culture, de politique culturelle et d’enjeux culturels. Comment contrer l'homogénéisation et l'américanisation qu'imposent les géants du web? N’est-ce pas la meilleure contribution qui soit pour assurer la pérennité des francophones ?

Conclusion
Les médias nationaux, particulièrement les médias écrits, sont en crise. Mais cette crise n’affecte pas uniquement ce modèle d’affaires à réinventer depuis la chute des revenus publicitaires. On veut que nos médias survivent, certes. Mais ils doivent également changer. Mieux saisir la complexité de notre société et offrir une information qui se distingue de celle qu’on retrouve sur les réseaux sociaux. Parfois, c’est réussi. D’autres fois, non. Recentrer le rôle des médias. Les contenus et les formats proposés doivent, eux aussi, être repensés afin d’offrir une véritable alternative surtout aux moins de 35 ans. C’est le meilleur investissement à long terme.

Alain Saulnier
Professeur invité
DESS en journalisme
Université de Montréal
20 mars 2018







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