Anxiogène : qui produit l’anxiété, l’angoisse...comme l'information?
« Anxiogène,
se dit d’une situation ou d’un objet susceptible de mobiliser de l’angoisse (ou
de l’anxiété) chez un sujet » (Larousse)
(J’étais invité le 6 janvier à l’émission de
Pénélope McQuade à la radio de Radio-Canada pour répondre à la question
suivante : suivre trop l’actualité, n’est-ce pas favoriser l’anxiété,
l’angoisse, pousser les gens à devenir anxiogènes?)
Ma
réflexion sur le sujet.
L’information a toujours eu un caractère
anxiogène. La désinformation et les rumeurs encore plus.
La peur et l’insécurité sont toujours présentes
chez chaque individu, au sein de toutes les communautés, de toutes les sociétés
et nations.
Lorsqu’en 1962, on proposait des exercices de rassemblement
dans les écoles primaires durant la crise des missiles à Cuba entre l’URSS et
les États-Unis, on a bel et bien appris la peur de la catastrophe nucléaire aux
enfants.
Plus tard, cette peur s’installa au sein de la
population durant toute cette période de tensions nucléaires que nous avons
connue dans les années ‘70 et ’80. Elle s’estompa avec la signature des accords
SALT de limitation des armes nucléaires. Elle disparut presque complètement
avec l’effondrement de l’empire soviétique en 1989. Période anxiogène par
excellence. Mais, somme toute, justifiée.
Vinrent
les réseaux sociaux et l’explosion des informations
Ce qui caractérise le nouveau millénaire, c’est
la surabondance d’informations. L’arrivée des réseaux sociaux au milieu de
cette première décennie a complètement changé la donne.
Car les informations nous tombent dessus,
minute après minute. Pas étonnant dans un tel contexte que cela puisse rendre plusieurs,
craintifs, stressés et angoissés. Précisons que nous parlons ici de surabondance
d’information… et tout son lot de désinformation, faut-il le rappeler.
Nous n’avons jamais eu autant d’informations
qui envahissent nos vies. C’est ce qui rend l’actuelle période unique dans
l’Histoire de l’Humanité. Pas étonnant, qu’on qualifie la situation d’anxiogène.
Il n’est pas surprenant non plus de devenir angoissé
lorsque pour la première fois de l’Histoire contemporaine, nous avons un
imbécile, Donald Trump, qui dirige la plus importante puissance, les États-Unis
d’Amérique. Ces jours-ci, il cherche à nous entraîner dans une guerre inutile
contre l’Iran. Un scénario qui semble vouloir se répéter. Avant lui, Georges W.
Bush l’avait fait contre Saddam Hussein sous prétexte qu’il cachait de fameuses
armes de destruction massive. On les a cherché, cherché, en vain, ces armes.
Tout était faux.
Ça,
c’est le contexte, parlons maintenant du rôle des médias.
Depuis quelques décennies, les médias ont trop
voulu se démarquer en pratiquant ce que j’appelle l’inflation verbale,
l’enflure verbale. C’était leur façon d’accrocher le téléspectateur ou le
lecteur. Des manchettes parfois trop gonflées à l’hélium pour avoir de l’effet,
et pour concurrencer les médias compétiteurs et pour obtenir de bons résultats
de vente. C’est le propre du modèle d’affaires des médias jusqu’à ce jour.
Lorsque j’étais directeur général de l’information
des services français à Radio-Canada (2006-2012), le personnel va s’en
rappeler, j’avais écrit une phrase dans un document à utiliser si un grave événement
devait se produire dans l’actualité. C’était notre fameux « Code ORANGE ».
C’est ainsi qu’on l’appelait. Il s’agissait d’un guide à appliquer en situation
d’urgence. Chaque membre du personnel voyait sa liste des tâches définies et
bien précisées afin de faire face à l’événement (une prise d’otages, un
cataclysme majeur).
Or, j’avais pris la peine d’y inscrire ma
vision des choses dans ce genre de circonstances. J’y écrivais, « Rappelez-vous
toujours que la fin du monde n’est pas pour aujourd’hui et probablement pas
pour demain ». C’était ma façon à moi d’atténuer cette tentation qu’on
retrouve beaucoup dans la culture des médias à en donner plus que le client
n’en demande.
En fait, cette culture loge dans les salles de
presse en permanence. C’est aussi bien sur des sujets sérieux que sur les
prévisions du temps qu’il fera. Ainsi, à chaque bordée de neige en vue, on semble
souhaiter qu’elle se transforme en tempête du siècle. Et on s’énerve, et on
énerve inutilement le public, à mon avis.
Pourtant, rappelons-nous que l’information
comporte ce côté rassurant, essentiel à la cohésion sociale et à la vie en
communauté. À l’inverse, énerver démesurément les gens est loin d’être
sécurisant puisque cela nous éloigne de la nature bénéfique et fondamentale de
l’information.
La modération a bien meilleur goût
Comme le dit le slogan, « La modération a
bien meilleur goût ». Cette tendance à gonfler la gravité des événements
est un mauvais réflexe des médias. Cela a causé et cause toujours du tort au
journalisme. L’exagération ne mène nulle part. Ce qui est essentiel, c’est de
bien raconter les événements et les faits avérés qui ont un réel impact, sans
artifice, ni amplificateur. De parler de l’actualité en profondeur, en donnant
le meilleur contexte possible pour saisir l’importance qu’elle a. De faire du
journalisme qui aide à la compréhension du monde comme l’enquête, consacrer
tous les efforts à la validation des informations qui courent sur les réseaux
sociaux.
Longtemps, ce qui était le moteur des médias,
c’était la course à la nouvelle. Être le premier à annoncer une nouvelle. Or, les
médias ont perdu l’exclusivité de la course à la nouvelle. Twitter l’emporte
régulièrement.
En ce sens, les médias doivent revoir leurs
priorités, recentrer le rôle du journalisme. Se démarquer de ce que tout-un
chacun peut faire seul sur les réseaux sociaux. Offrir la valeur ajoutée des
journalistes, comme l’expertise, la capacité de bien expliquer les choses, de
mettre en contexte les informations
En fait, la meilleure façon d’éviter que le
public ne devienne trop angoissé, c’est de dire la vérité avec des faits
incontestables. C’est ce qui est rassurant dans une situation grave et
complexe, comprendre. Nous
voulons comprendre.
Par exemple, l’actuelle urgence climatique
doit certainement nous obliger à réagir. Les États doivent réagir, et vite. Malgré
les contre-discours des climato-sceptiques soutenus largement par le lobby du
pétrole. Or, la meilleure façon de mobiliser le public, ce sont les faits qui
s’appuient sur l’évaluation des scientifiques. En contrant la désinformation. Pas
en criant « À soir, on fait peur au monde », ni en contribuant au
déni.
Exposer les faits, clairement, sans retenue et
sans enflures. Il ne s’agit pas d’adoucir le portrait de la situation. Car il y
a urgence d’agir, mais de fournir des raisons d’y croire et de forcer les États
à réagir rapidement. À défaut de quoi, on démobilise, on rend les gens
impuissants.
Pour contrer l’angoisse et l’effet anxiogène,
le meilleur remède est la vérité. L’objectif n’est pas de « mobiliser de
l’angoisse », pour reprendre la définition du Larousse, mais mobiliser les
gens pour mieux comprendre et mieux maîtriser la situation.
Alain Saulnier
Professeur invité
Département de communication
Université de Montréal
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