mardi 7 janvier 2020

Anxiogène: qui produit l'anxiété, l'angoisse...comme l'information?


Anxiogène : qui produit l’anxiété, l’angoisse...comme l'information?
 « Anxiogène, se dit d’une situation ou d’un objet susceptible de mobiliser de l’angoisse (ou de l’anxiété) chez un sujet » (Larousse)

(J’étais invité le 6 janvier à l’émission de Pénélope McQuade à la radio de Radio-Canada pour répondre à la question suivante : suivre trop l’actualité, n’est-ce pas favoriser l’anxiété, l’angoisse, pousser les gens à devenir anxiogènes?)

Ma réflexion sur le sujet.

L’information a toujours eu un caractère anxiogène. La désinformation et les rumeurs encore plus.
La peur et l’insécurité sont toujours présentes chez chaque individu, au sein de toutes les communautés, de toutes les sociétés et nations.
Lorsqu’en 1962,  on proposait des exercices de rassemblement dans les écoles primaires durant la crise des missiles à Cuba entre l’URSS et les États-Unis, on a bel et bien appris la peur de la catastrophe nucléaire aux enfants.

Plus tard, cette peur s’installa au sein de la population durant toute cette période de tensions nucléaires que nous avons connue dans les années ‘70 et ’80. Elle s’estompa avec la signature des accords SALT de limitation des armes nucléaires. Elle disparut presque complètement avec l’effondrement de l’empire soviétique en 1989. Période anxiogène par excellence. Mais, somme toute, justifiée.

Vinrent les réseaux sociaux et l’explosion des informations
Ce qui caractérise le nouveau millénaire, c’est la surabondance d’informations. L’arrivée des réseaux sociaux au milieu de cette première décennie a complètement changé la donne.
Car les informations nous tombent dessus, minute après minute. Pas étonnant dans un tel contexte que cela puisse rendre plusieurs, craintifs, stressés et angoissés. Précisons que nous parlons ici de surabondance d’information… et tout son lot de désinformation, faut-il le rappeler.

Nous n’avons jamais eu autant d’informations qui envahissent nos vies. C’est ce qui rend l’actuelle période unique dans l’Histoire de l’Humanité. Pas étonnant, qu’on qualifie la situation d’anxiogène.

Il n’est pas surprenant non plus de devenir angoissé lorsque pour la première fois de l’Histoire contemporaine, nous avons un imbécile, Donald Trump, qui dirige la plus importante puissance, les États-Unis d’Amérique. Ces jours-ci, il cherche à nous entraîner dans une guerre inutile contre l’Iran. Un scénario qui semble vouloir se répéter. Avant lui, Georges W. Bush l’avait fait contre Saddam Hussein sous prétexte qu’il cachait de fameuses armes de destruction massive. On les a cherché, cherché, en vain, ces armes. Tout était faux.

Ça, c’est le contexte, parlons maintenant du rôle des médias.

Depuis quelques décennies, les médias ont trop voulu se démarquer en pratiquant ce que j’appelle l’inflation verbale, l’enflure verbale. C’était leur façon d’accrocher le téléspectateur ou le lecteur. Des manchettes parfois trop gonflées à l’hélium pour avoir de l’effet, et pour concurrencer les médias compétiteurs et pour obtenir de bons résultats de vente. C’est le propre du modèle d’affaires des médias jusqu’à ce jour.

Lorsque j’étais directeur général de l’information des services français à Radio-Canada (2006-2012), le personnel va s’en rappeler, j’avais écrit une phrase dans un document à utiliser si un grave événement devait se produire dans l’actualité. C’était notre fameux « Code ORANGE ». C’est ainsi qu’on l’appelait. Il s’agissait d’un guide à appliquer en situation d’urgence. Chaque membre du personnel voyait sa liste des tâches définies et bien précisées afin de faire face à l’événement (une prise d’otages, un cataclysme majeur).
Or, j’avais pris la peine d’y inscrire ma vision des choses dans ce genre de circonstances. J’y écrivais, « Rappelez-vous toujours que la fin du monde n’est pas pour aujourd’hui et probablement pas pour demain ». C’était ma façon à moi d’atténuer cette tentation qu’on retrouve beaucoup dans la culture des médias à en donner plus que le client n’en demande.
En fait, cette culture loge dans les salles de presse en permanence. C’est aussi bien sur des sujets sérieux que sur les prévisions du temps qu’il fera. Ainsi, à chaque bordée de neige en vue, on semble souhaiter qu’elle se transforme en tempête du siècle. Et on s’énerve, et on énerve inutilement le public, à mon avis.

Pourtant, rappelons-nous que l’information comporte ce côté rassurant, essentiel à la cohésion sociale et à la vie en communauté. À l’inverse, énerver démesurément les gens est loin d’être sécurisant puisque cela nous éloigne de la nature bénéfique et fondamentale de l’information.

La modération a bien meilleur goût
Comme le dit le slogan, « La modération a bien meilleur goût ». Cette tendance à gonfler la gravité des événements est un mauvais réflexe des médias. Cela a causé et cause toujours du tort au journalisme. L’exagération ne mène nulle part. Ce qui est essentiel, c’est de bien raconter les événements et les faits avérés qui ont un réel impact, sans artifice, ni amplificateur. De parler de l’actualité en profondeur, en donnant le meilleur contexte possible pour saisir l’importance qu’elle a. De faire du journalisme qui aide à la compréhension du monde comme l’enquête, consacrer tous les efforts à la validation des informations qui courent sur les réseaux sociaux.
Longtemps, ce qui était le moteur des médias, c’était la course à la nouvelle. Être le premier à annoncer une nouvelle. Or, les médias ont perdu l’exclusivité de la course à la nouvelle. Twitter l’emporte régulièrement.
En ce sens, les médias doivent revoir leurs priorités, recentrer le rôle du journalisme. Se démarquer de ce que tout-un chacun peut faire seul sur les réseaux sociaux. Offrir la valeur ajoutée des journalistes, comme l’expertise, la capacité de bien expliquer les choses, de mettre en contexte les informations

En fait, la meilleure façon d’éviter que le public ne devienne trop angoissé, c’est de dire la vérité avec des faits incontestables. C’est ce qui est rassurant dans une situation grave et complexe, comprendre. Nous voulons comprendre.

Par exemple, l’actuelle urgence climatique doit certainement nous obliger à réagir. Les États doivent réagir, et vite. Malgré les contre-discours des climato-sceptiques soutenus largement par le lobby du pétrole. Or, la meilleure façon de mobiliser le public, ce sont les faits qui s’appuient sur l’évaluation des scientifiques. En contrant la désinformation. Pas en criant « À soir, on fait peur au monde », ni en contribuant au déni.
Exposer les faits, clairement, sans retenue et sans enflures. Il ne s’agit pas d’adoucir le portrait de la situation. Car il y a urgence d’agir, mais de fournir des raisons d’y croire et de forcer les États à réagir rapidement. À défaut de quoi, on démobilise, on rend les gens impuissants.

Pour contrer l’angoisse et l’effet anxiogène, le meilleur remède est la vérité. L’objectif n’est pas de « mobiliser de l’angoisse », pour reprendre la définition du Larousse, mais mobiliser les gens pour mieux comprendre et mieux maîtriser la situation.

Alain Saulnier
Professeur invité
Département de communication
Université de Montréal


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