Les défis du nouveau ministre du Patrimoine, Steven
Guilbeault
Plusieurs personnes ont critiqué la nomination
de Steven Guilbeault au ministère du Patrimoine. « Trudeau a caché
Guilbeault au Patrimoine», a-t-on écrit. « Il ne connaît rien au monde de la
culture et des médias, a-t-on entendu. » Un accueil froid, pour le moins.
Tournons la page. C’est fait, il est ministre
du Patrimoine. Prenons-en acte.
La balle est maintenant dans son camp. Son
principal défi est de devenir un ministre du Patrimoine qui laissera sa marque.
Mais comment?
Lors de la campagne électorale, le premier ministre
Justin Trudeau a annoncé qu’il s’engageait à réguler la relation de l’État canadien
avec les superpuissances numériques, les GAFAM (Google, Apple, Facebook,
Amazon, Microsoft). Le premier ministre voulait sans doute corriger le tir
depuis cette incroyable entente sans issue intervenue avec NETFLIX. Tout le
monde constate que les géants du web ont littéralement fait éclater en mille
miettes les règles du jeu de l’écosystème de la culture et des médias au pays.
Voilà donc un dossier immensément prioritaire
pour le nouveau ministre Guilbeault. Car il est urgent d’établir une solide
stratégie afin de contrer la domination culturelle des superpuissances
numériques. Américaines, faut-il le rappeler. Plus jeune, je qualifiais le tout
d’impérialisme culturel. J’ose encore.
Depuis plus de dix ans, notre culture et nos
médias en effet ont été bousculés sans ménagement par ces géants du web. Ils
dominent l’univers numérique, font fi des réglementations nationales, des
règles fiscales en vigueur et des droits d’auteur. Il faut agir vite.
Pour l’instant, le nouveau gouvernement a
annoncé une intention. Comment se concrétisera-t-elle ? Tout d’abord, Steven
Guilbeault peut en faire un engagement personnel et démontrer qu’il a la ferme conviction
de réussir. Assez de temps perdu.
Pour ce faire, il doit préciser sa vision et
une puissante stratégie afin de se réapproprier le contrôle des règles du jeu
avec les GAFAM. Imposer et faire partager cette vision avec ses collègues et
ses fonctionnaires.
Ainsi, il y a actuellement des discussions en
cours à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques)
pour trouver un règlement international et enfin réguler la relation entre les
États et les superpuissances numériques. Le Canada a-t-il été, est-il un acteur
dans ces négociations ? Sommes-nous
à la remorque des initiatives déjà entamées ?
Plus de cent pays, dont le Canada, ont indiqué
qu’ils allaient se rallier à la solution que proposera l’Organisation de
coopération et de développement économique. Le premier ministre du Québec,
François Legault a aussi précisé qu’il attendait la solution proposée par cet
accord de l’OCDE avant que son gouvernement ne mette de l’avant ses propres
mesures.
Toutefois, sommes-nous certain que l’OCDE n’accouchera
pas d’une souris face à l’éléphant que constituent les géants du web ?
Comment être sûr du contraire? D’où la nécessité d’une implication du
ministre du Patrimoine canadien et de ses collègues au Conseil du Trésor, aux
Finances, au Revenu et au Commerce international. Une équipe de choc est
nécessaire pour participer à cette négociation.
Le Canada doit s’en préoccuper au premier
chef, en particulier pour protéger la culture francophone dans ses champs de
juridiction qui sont nombreux. Cela signifie que le ministre doit exercer un
véritable leadership dans cette opération. Y placer une personne de confiance afin
de suivre, pas à pas, toutes les négociations en cours. S’impliquer personnellement,
si nécessaire.
Au cours de la dernière année, c’est la France
qui a exercé un tel leadership en établissant unilatéralement une taxe de 3%
sur le chiffre d’affaires des géants du web. À plus petite échelle, le ministre
Leitao du gouvernement précédent à Québec avait déjà donné le ton au pays en
obligeant les géants numériques à payer la TVQ. Qu’attend le Canada pour
percevoir la TPS ?
Plus précisément, quel rôle le Canada
entend-il jouer au cours des prochains mois qui seront déterminants pour
trouver une solution et un programme global avec un véritable impact.
Dans de telles circonstances, nos deux paliers
de gouvernements devraient mettre de côté les contentieux Québec-Ottawa pour travailler
de concert dans ce dossier si important pour la culture francophone.
Autre dossier important, la révision de la loi
sur la radiodiffusion. Lors d’un débat électoral sur la culture et les médias
en septembre dernier, Pablo Rodriguez, alors ministre du Patrimoine, avait
indiqué qu’il entendait mettre en application les recommandations du rapport tant
attendu du groupe d’experts présidé par Janet Yale à cet effet. Tout le milieu
culturel et des médias est sur le qui-vive et attend impatiemment ces
recommandations afin l’espère-t-on, de redonner tout l’élan nécessaire.
Il y a lieu de s’attendre à ce que ce rapport
vienne redéfinir le paysage de la diffusion au pays. On le souhaite. Car désormais,
tous les médias et diffuseurs de contenus sont numériques, sur un pied
d’égalité. Il n’existe plus de frontières entre les médias sur le territoire
numérique. Pas plus que de distinction entre les chaînes vidéo spécialisées
accessibles par la câblodistribution et les chaînes sur You Tube.
De leur côté, les superpuissances numériques
refusent de reconnaître l’autorité des États sur les territoires nationaux. Des
outils indispensables à la culture et aux médias comme le Fonds des médias du
Canada manque de ressources.
Par ailleurs, ce rapport risque de provoquer
d’importants changements, positifs on l’espère, dans la définition des mandats
du CRTC, de Radio-Canada/CBC, ou encore du Fonds des médias en cette ère
numérique.
C’est tout l’écosystème culturel et médiatique
qui devrait être touché par la prochaine refonte de la loi sur la diffusion au
pays. Rappelons que l’actuelle Loi sur la radiodiffusion adoptée en 1991, est
toujours en vigueur. C’était bien avant la naissance des géants du web et leur
suprématie dans l’univers numérique.
Encore là, Steven Guilbeault peut exercer un solide
leadership afin d’adopter les bonnes règles du jeu et doter le pays d’outils performants
afin de faire rayonner notre culture,
ici et dans le monde. Soutenir les créateurs, les producteurs, les diffuseurs,
les auteurs et autrices des milieux du livre et de la musique afin que cette
culture trouve sa place et son compte dans l’univers numérique.
Pour ce faire, le ministre doit assurer qu’une
nouvelle réglementation entre en vigueur. Avec son gouvernement, il lui faudra
établir des mesures fiscales d’équité pour tous les médias et diffuseurs, aussi
bien nationaux qu’internationaux. Également protéger les droits d’auteur qui
échappent trop au monde de la création, de la production, de la diffusion et de
la distribution. Une grande corvée s’impose.
Bref, le nouveau ministre Steven Guibeault doit
être un premier de classe. Il peut se distinguer. À lui de jouer.
Alain Saulnier est professeur invité au
département de communication de l’Université de Montréal
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