dimanche 2 février 2020

Mettre fin à la dépendance publicitaire de Radio-Canada

Dans son billet (Journal de Montréal) du 31 janvier "Bye-bye la pub, bye bye", Sophie Durocher me fait l'honneur de me qualifier d'"honorable Alain Saulnier". (Je sais, c'est un pléonasme et c'est voulu...)
C'est que la veille, le journal Le Devoir rapportait mon opinion sur le fait que ce soit une bonne chose de retirer progressivement Radio-Canada de la publicité sur cinq années. On m'a cité correctement. En fait, mon opinion, c'est ce que recommande le rapport Yale sur l'avenir de la radiodiffusion et des télécommunications rendu public le 29 janvier. Le rapport recommande que Radio-Canada abandonne "graduellement la publicité de tous ses supports de diffusion au cours des cinq prochaines années, en commençant par les contenus des nouvelles." Il réaffirme également l'importance d'avoir un service public fort au pays. J'en suis.
À mon avis, Radio-Canada a besoin d'un électrochoc pour recentrer sa mission dans le cadre d'un mandat de service public. La quête de publicité à tout prix influence trop les choix de contenus et des programmations de Radio-Canada sur toutes ses plateformes, à l'exception de la radio. On a tendance ainsi à perdre de vue le mandat propre à un service public.
Comment ce retrait doit-il se faire? Sur cinq années, avec des négociations entre Radio-Canada, le CRTC et le ministère du Patrimoine canadien, indiquait Monique Simard, une des auteures du rapport mercredi dernier. Il est possible qu'au bout du compte, on laisse Radio-Canada avoir accès à des publicités de prestige pour les Jeux olympiques par exemple, ou lors de grands événements culturels.
Radio-Canada a laissé trop longtemps la recherche de revenus de publicité teinter sa programmation. Lorsque j'étais patron de l'information à Radio-Canada, on voulait toujours faire retirer de la programmation l'émission Une heure sur terre animée par Jean-François Lépine. Pour la remplacer par quoi? Une émission de variétés, de préférence, qui irait chercher de meilleurs résultats d'écoute et donc, plus de revenus publicitaires. J'ai toujours résisté jusqu'à ce qu'on "m'invite" à quitter Radio-Canada en février 2012.

La première étape de ce retrait progressif sur cinq années, tel que proposé par le rapport Yale, serait de retirer rapidement la publicité des bulletins de nouvelles et des sites d'information. Je m'en réjouis.
Je suis en désaccord avec ceux et celles qui pensent qu'en retirant la publicité à Radio-Canada, on marginalisera et fragilisera le service public. À mon avis, il faut un électrochoc pour que Radio-Canada redéfinisse son rôle et son mandat. Il est plus dangereux de se mettre la tête dans le sable et de continuer comme si de rien n'était, tel que le fait actuellement Radio-Canada. Car à poursuivre ainsi, on fournira à la droite de ce pays la bonne raison pour justifier d'asphyxier le service public. 
Lorsqu'il y aura de moins en moins de différence entre Radio-Canada et les privés, on se sera mis la corde autour du cou. «À quoi servirait un service public (d'information) s'il faisait les choses comme les autres?» écrivais-je en 2012 dans mon communiqué aux employés lors de mon départ de Radio-Canada. Je le crois toujours profondément. 
La seule façon d'établir et de rétablir la pertinence de Radio-Canada, c'est en offrant une différence, un contenu distinct. Je ne parle pas ici de revenir aux Beaux-Dimanches. Tout le monde en parle peut s'inscrire dans un tel mandat...mais avec des dizaines de spots publicitaires en moins.
Quand un quizz de Radio-Canada nourrit le manque de culture, par exemple à la question "Qui a écrit "Les Misérables"?", la concurrente répond "Passe" parce qu'elle ne le sait pas, ça fait mal. Une autre fois, à la question "Quel est le nom de l'animateur d'Occupation Double en Afrique du Sud ?" et la concurrente le trouve à la seconde près, on reproduit la médiocrité. 
On m'a critiqué car il y aurait trop de risques que le passage d'un gouvernement libéral minoritaire à un éventuel gouvernement conservateur fasse voler en éclat le financement de Radio-Canada et provoque de nouvelles compressions budgétaires comme on l'a vécu sous le gouvernement de Stephen Harper. Une telle réaction constitue ni plus ni moins un appel à l'inertie. 
Enfin, on me qualifiera peut-être d'élitiste, mais je ne suis pas dans le camp de qui que ce soit. Je suis un libre penseur, dans le camp du rapport Yale, certes, mais avec beaucoup d'autres. Et nous sommes nombreux. Je suis dans le camp qui défend un service public fort!
Alain Saulnier
2 février 2020

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