mardi 18 septembre 2018

40,000 ou 50,000 immigrants? Là n'est pas la question, François Legault, chef de la CAQ

En janvier dernier, j'écrivais: "notre culture et notre langue sont actuellement davantage menacées par le GAFA que par la burqa. C’est la puissance des géants du GAFA, Google, Apple, Facebook, et Autres géants du web (Amazon, Netflix, Spotify) et l’imposition de leurs contenus culturels américains qui menacent profondément notre identité francophone. C'est l'éléphant dans la pièce. Tous en chœur, ils rétrécissent l’espace occupée au Québec par la langue et la culture française. Plus que jamais, on en fait une langue de minoritaires (voire de perdants), comme si seule la langue anglaise constituait celle des « gagnants » en Amérique du Nord." Aujourd'hui, j'ajouterais que pour contrer le discours de la CAQ et de François Legault, il faut lui répondre que la menace qui guette la langue et la culture française au Québec, ce ne sont pas 40,000 ou 50,000 immigrants par année. La menace, elle provient des Facebook, Apple, Amazon, Google et Netflix (Le nouvel acronyme, les "FAANGS" qui incluent tous les géants du web et non plus GAFA) qui nous imposent une vision dominatrice américaine de la culture. Elle provient aussi de ce que nous ne sommes pas certains que l'exception culturelle francophone sera préservée dans le nouveau traité de l'ALENA négocié par le gouvernement canadien. Brian Myles écrivait hier: L'exception culturelle vaut bien une pinte de lait (https://www.ledevoir.com/opinion/editoriaux/536921/les-chefs-et-la-question-nationale-l-exception-culturelle-vaut-bien-une-pinte-de-lait). S'attaquer à cette menace, c'est le défi de notre culture nationale et de la langue française. En revanche, il faut favoriser une forte politique culturelle, musclée, qui rend notre culture franco-québécoise attrayante pour les nouveaux arrivants. Il faut les convaincre qu'ils immigrent chez un peuple rempli d'espoir, de fierté et de confiance. Faire de la culture francophone au Québec une culture de "winners", j'oserais dire... Alain Saulnier 18 septembre 2018

vendredi 31 août 2018

Ma présentation à un panel en compagnie de Rachida Azdouz, Gérard Bouchard et Charles Taylor

Jeudi le 30 août, j'ai eu l'honneur et le privilège de participer à une discussion avec Rachida Azdouz, Charles Taylor et Gérard Bouchard à la Librairie du Square- Outremont. Tous les quatre avions participé à un colloque, en novembre dernier, pour marquer le dixième anniversaire de la Commission Bouchard-Taylor. L'organisatrice de l'événement, Solange Lefebvre de l'Université de Montréal en a tiré un livre publié aux Éditions Québec Amérique. Nous avons donc créé un événement/lancement à Librairie du Square- Outremont, avenue Bernard à Montréal. Panel avec Rachida Azdouz, Gérard Bouchard, Charles Taylor (Librairie du Square Outremont, 30 août) Dans ma présentation au colloque du 10ème anniversaire, je répondais à la question suivante: Les journalistes étaient-ils prêts à affronter la crise des accommodements raisonnables ? Je répondais : Non, et j’ajoutais qu’à mon avis, ils ne l'étaient toujours pas. Je dis la même chose aujourd’hui. On l’a constaté encore, il y a quelques mois, avec cette fausse histoire d’accommodements diffusée par TVA sur la Mosquée de Côte-des-Neiges et des entrepreneurs qui effectuaient des travaux tout près.
La direction de TVA s’en est excusé. J’avais dit et je le redis, qu’aujourd’hui le journalisme est généralement plus en mode réaction qu’en mode réflexion. On fait trop du journalisme de surface sur les questions importantes d’interculturalisme, d’identité, d’immigration comme sur bien d’autres sujets d’ailleurs. J’y reviendrai plus loin. En ce sens, je rejoins certaines critiques du rapport Bouchard-Taylor sur les médias. Prenons un exemple tout récent. Le 19 juin dernier le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) a publié un sondage qui indiquait que les gens étaient plus inquiets de l’immigration que de la pollution de l’air et de l’eau.(souligné par moi). Je cite : « Les Québécois associent un risque plus grand à l’immigration qu’à la pollution de l’air et de l’eau,…indique le Baromètre CIRANO 2018 Précisément, 48 % des 1000 personnes sondées associent à un « grand » ou à un « très grand » risque l’arrivée de dizaines de milliers d’immigrants par année au Québec ; 28 % à un « moyen » risque et 22 % à un risque « faible » ou « négligeable ». 1) Que nous disent ces résultats ? Que les journalistes devraient chercher à savoir qu’est-ce qui se cache derrière cette inquiétude des québécois.es. Peut-on documenter, creuser cette information ? Chercher les faits dans ce dossier au lieu d’y aller en mode réaction ? Comme on le fait trop souvent dès qu’un événement lié à l’immigration survient ou lorsqu’une demande d’accommodements raisonnables relance le débat? Quelle est la situation actuelle de l’immigration au Québec ? Les chiffres documentés? Leur évolution au fil des années ? Cherchons à comprendre pourquoi cette crainte existe ? Notre rôle n’est-il pas de vérifier les faits ? Réfuter les propos de ceux et de celles qui disent des faussetés à ce sujet ? 2)De tels résultats nous interpellent aussi autrement. Nous devrions en effet nous demander pourquoi les gens négligent des préoccupations plus inquiétantes. Par exemple, les dangers liés aux changements climatiques. La calotte glaciaire de l’Arctique fond à une telle vitesse, que tous les savants et chercheurs du monde lancent aujourd’hui un cri d’alarme. Il y a deux jours le ministre Français de la Transition écologique, Nicolas Hulot, a démissionné en lançant un grand cri du coeur: la planète est en danger… Je ne veux rien banaliser, mais au Québec, nous avons peur de …l’immigration…et moins de la pollution de l’eau et de l’air, voire même des changements climatiques ? Trouvez l’erreur… Quel rôle les médias jouent-ils dans cette distorsion de la réalité ? Matière à réflexion. C’est pourtant la préoccupation principale des 18-34 ans. En parler, n’est-ce d’ailleurs pas la meilleure façon de les inviter à voter davantage ? Sans compter qu’il y aurait un lien à faire entre les changements climatiques et les mouvements migratoires de population qui s’ensuivront à travers le monde. Trop de journalisme de réaction, donc pas assez de réflexion. Mais soyons clair, j’aime les journalistes. J’en forme, année après année, depuis six ans. Mais ça ne m’empêche pas de constater qu’on pratique trop de journalisme de surface. Par exemple, puisque nous sommes en campagne électorale, débordons sur d’autres sujets. Voici quelques questions que nous pourrions aborder avec les partis politiques : 1)Quelle contribution concrète, comptez-vous faire pour améliorer la lutte aux changements climatiques puisque la planète est en danger? Que fera votre gouvernement pour mettre l’épaule à la roue ? (En passant, belle initiative le 28 août au Téléjournal de Patrice Roy à Radio-Canada, on y a tenu un premier débat sur l’enjeu de l’environnement) 2)J’ai aussi lu cet été la nouvelle suivante encore à Radio-Canada : on y disait que, et je cite : « neuf entreprises, dont Eaux vives Water (Eska), ont puisé 2 084 284 500 litres d'eau potable au Québec en 2017, et ont versé des redevances de 145 899,92 $, lors de cette même année, au gouvernement du Québec. Et puis, c’est tout, la nouvelle est disparue du radar. Posons alors la question aux partis politiques : Que dit votre programme à cet égard? N’est-ce pas une de nos principales ressources, l’eau potable? Notre plus grand bien collectif? (Ça nous changerait des interminables discussions sur la candidate Gertrude Bourdon…) J'ouvre une parenthèse. En visite l'année dernière en Chine, un de nos interprètes nous a lancé un jour, "on dit, nous en Chine, que la prochaine guerre mondiale sera la guerre de l'eau..." Notre groupe composé de québécois est resté figé après un tel commentaire, car nous savons à quel point de l'eau, il y en a en abondance au Québec. Fin de la parenthèse. 3)Autre question à poser en campagne électorale : on a longuement parlé d’évasion fiscale et de paradis fiscaux depuis les dernières années. Les « Panama Papers » et autres révélations ont fait la une. Donc, questions aux chefs de partis : pouvez-vous nous dire si vous, ou des membres de vos équipes, pratiquent encore ou ont largement eu recours à l’évasion fiscale ? Y en a-t-il qui ont placé une partie de leurs avoirs dans des paradis fiscaux ? Pouvez-vous le vérifier? 4)Et pour terminer, lorsqu’un parti politique lancera un autre pavé dans la mare du dossier de l’immigration, que feront les journalistes ? Relayer sans esprit critique ce nouveau pavé ? Contribuer à la distorsion de la réalité…? Mode réflexion, pas juste mode réaction. Bref, il faut plus de journalisme en profondeur. Sur l’immigration, les changements climatiques, l’évasion fiscale, sur les changements démographiques au Québec, également sur ces mouvements migratoires partout dans le monde de populations qui deviendront un jour pas si loin des réfugiés «climatiques ». Enfin, comprendre aussi cette fracture entre les perceptions vues de Montréal comparativement au reste du Québec. Le plus grand défi, c’est de contrer la désinformation, en tout temps. C’est le combat extrême de ce siècle. Il ne s’agit pas seulement de contrer les « Fake news ». En fait, les médias devront produire davantage d’enquête, produire des nouvelles exclusives qui s’appuient sur des faits bien documentés et qui poussent à la réflexion. Ne pas se limiter à n’être qu’un relais de l’information, en mode réaction. Aider les gens à comprendre l’actualité et enrichir le niveau des débats de la société québécoise. Ça signifie donc, combattre le journalisme « paresseux ».
Alain Saulnier
Professeur invité, département de communication DESS en journalisme, Université de Montréal,
30 août.

lundi 27 août 2018

Les médias de Québecor attaquent la liberté d'expression du Conseil de presse du Québec

Que cherchent les médias de Québecor ? La disparition du Conseil de Presse du Québec ? Les médias du groupe Québecor ont déposé, il y a quelques jours, une demande d’injonction permanente contre le Conseil de Presse du Québec et lui réclament 200,000$ en dommages pour deux décisions récentes qui auraient porté atteinte prétend-on à la réputation du Journal de Montréal. C’est que la direction de ces médias n’accorde pas au CPQ le droit d’émettre des décisions et des blâmes contre ses journalistes et ses chroniqueurs. Étonnante décision de Québecor... Les médias n’ont-ils pas précisément le devoir de favoriser la liberté d’expression et donc, de la critique ? Il reste que les médias de Québecor sont à couteaux tirés avec le CPQ. En juin 2010 ils se sont d’abord retirés comme membres du Conseil de Presse. Et aujourd’hui, ils lui refusent le droit de s’exprimer librement sur le travail de ses journalistes et de ses chroniqueurs. Ce qui a mis le feu aux poudres, ce sont deux décisions récentes du Tribunal d’honneur du Conseil de presse contre un texte du Journal de Montréal et une chronique de Richard Martineau. Sans débattre du bienfondé ou non de ces décisions, il reste que cette demande d’injonction permanente des médias de Québecor vise clairement à museler le Conseil de Presse du Québec et à restreindre la portée de son rôle au Québec. Plus précisément, voilà un média qui refuse à un individu ou à un collectif le droit de critiquer ses contenus. C’est carrément une atteinte à la liberté d’expression ! Le Conseil de Presse est né en 1973 de la volonté des journalistes, de la directions des médias et de membres du public de se doter d’un Tribunal d’honneur afin d’améliorer la qualité du travail journalistique au Québec. C’est un organisme à adhésion volontaire et surtout indépendant, comme il se doit, du gouvernement du Québec. Le rôle de cet organisme a été utile depuis 45 ans. Certes, il y a eu des ratés en cours de route, mais le CPQ reste un organisme essentiel. On ne peut pas encourager la liberté de presse au Québec sans une forme indépendante d’autorégulation des médias et des journalistes. C’est là l’originalité du Conseil de Presse. J’ai moi-même été très critique à l’égard du Conseil de Presse du Québec lorsque je présidais la FPJQ au début des années ’90 et par la suite comme directeur général de l’information à Radio-Canada (2006-2012). Mais ce n’est pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain. Cette invraisemblable demande d’injonction de Québecor est clairement une atteinte à la liberté d’expression. J’insiste, n’est-ce pas étonnant que cette demande provienne d’un média qui doit précisément défendre la liberté d’expression? Les recours habituels existent toujours si une critique est jugée discriminatoire. Ce sera à un tribunal d’en juger. Mais s’il n’y a pas diffamation, pourquoi un média devrait-il restreindre la liberté d’expression d’un de ses lecteurs critique, ou de celle d’un organisme comme le Conseil de Presse ? Que souhaitent les médias de Québecor ? Restreindre la liberté d’expression? La fin du Conseil de Presse du Québec? Avec quelle conséquence ? Une invitation à une intervention gouvernementale qui établirait son propre tribunal administratif sur le métier ? J’en vois déjà qui salivent à cette idée. Alain Saulnier Professeur invité Département de communication Université de Montréal

vendredi 8 juin 2018

Le Parti Québécois, Martine Ouellet et l'abrogation de la loi concernant La Presse

Le Parti Québécois, Martine Ouellet et l’abrogation de la loi concernant La Presse Le Parti Québécois est un grand parti démocratique. Il a toujours mis de l'avant l'importance de faire de son combat politique, un débat d'idées sur l'avenir du Québec et du Canada. Ce débat, malgré l'animosité qu'il a suscitée depuis plus de quarante ans, s'est toujours déroulé dans un esprit démocratique. Il ne serait jamais venu à l'idée du Parti Québécois et de son fondateur, René Lévesque, de privilégier une autre avenue que le débat démocratique pour faire avancer la cause de la souveraineté du Québec. C'est tout à son honneur. C’est cet esprit qui a contribué à enrichir la culture démocratique de la société québécoise. De son côté, la famille Desmarais a toujours favorisé l'option fédéraliste, comme bien d'autres citoyens et entreprises l'ont fait au cours des dernières années. C'est son droit. La richesse et la maturité d'une société ne se mesurent-elles pas à sa capacité de permettre l'expression d'idées contraires? Année après année, la page éditoriale de La Presse a toujours soutenu les partis et l'option fédéralistes. Il en est autrement de l'équipe de journalistes et de chroniqueurs de ce grand média qui ne sont pas soumis à cette règle éditoriale. On y retrouve des gens ouverts à toutes les options et qui pratiquent leur métier de façon irréprochable. De plus, pour avoir connu plusieurs de ces journalistes comme collègues dans le métier, et davantage comme président de la Fédération des journalistes du Québec de 1992 à 1997, je sais fort bien que plusieurs d'entre eux, à titre de citoyens et non comme journalistes, ont voté en faveur de l'option du OUI lors du référendum de 1995. Encore aujourd'hui, s'il est vrai que les journalistes de La Presse, comme citoyens et citoyennes, éprouvent moins de ferveur ou de sympathie à l'égard de l'option souverainiste en vertu de nombreux facteurs qu'il serait trop long à expliquer ici, ils et elles continuent néanmoins à exercer leur métier de façon impeccable, sans partisannerie dans leur couverture des grands enjeux de la société québécoise. Il faut le dire haut et fort, La Presse est un grand journal. Le travail de ses journalistes constitue un modèle et une référence pour les autres membres de la profession. Ils et elles accomplissent un travail exceptionnel. C'est ce journal qui a largement contribué au journalisme d'enquête au Québec, à la réflexion et aux débats d'idées, à l'enrichissement culturel ainsi qu'à une information nationale et internationale de qualité. Mais voilà, La Presse+ doit changer de modèle d’affaires. Et pour ce faire, contrairement aux autres médias, elle doit demander la permission à l’Assemblée Nationale de pouvoir se transformer en OBNL, ce qui constitue un non-sens. Dans sa hâte de procéder rapidement à ce changement, certains membres de la députation ont pu se sentir froissés. Par contre, cela ne doit pas nous faire dévier de l’essentiel, ni d’en faire un prétexte pour justifier une réaction inappropriée de l’opposition à la demande pourtant légitime de La Presse+. Ce dont il s'agit ici, c’est de se libérer de ces menottes que constitue la loi adoptée par l'assemblée législative en 1967. En 2018, cinquante ans plus tard, l'objectif est pourtant simple: mettre fin à cette loi anachronique et désuète datant d'une autre décennie, d'un autre millénaire. Pour ce faire, tous les députés doivent unanimement approuver l'opération. Et c'est là que le bât blesse. Certains députés détournent le débat et en profitent pour régler des comptes avec certains journalistes et surtout pour "donner une leçon" à l’adversaire fédéraliste de toujours, la famille Desmarais. Plusieurs arguments sont utilisés pour bloquer Power Corporation dans sa tentative de développer une alternative viable à un modèle d’affaires bousculé par Google et Facebook. Encore une fois, je suis de ceux qui auront, dans une autre étape, plusieurs questions à poser aux dirigeants actuels de La Presse. Ainsi, cette OBNL sera-t-elle véritablement indépendante? Power Corporation est-il en train de bousculer toute la députation pour tenter d'imposer un subterfuge lui permettant d'aller chercher des crédits d'impôt et un financement gouvernemental tout en restant le vrai propriétaire dans l’ombre? Je serai toujours en première ligne pour questionner ce modèle encore trop nébuleux, à mon avis. Mais en attendant, restaurons la liberté de La Presse+, de ses patrons et de ses employés de développer une nouvelle formule de modèle d'affaires. Un tel modèle d’OBNL existe ailleurs en Occident. On peut s’en inspirer. Dans un tel débat, l'esprit revanchard n'a pas sa place. Il y a quelque chose d’anti-démocratique à ce que des députés de l’Assemblée nationale tentent de faire disparaître l’option politique de leur adversaire dans l'univers des médias. Plus précisément, en tentant d’écarter le point de vue fédéraliste de la page éditoriale d'un grand média parce qu’il ne fait pas notre affaire. Ce serait un dangereux précédent. C’est contraire à l’esprit démocratique qui devrait guider l’action de tous les partis politiques qui sont favorables à la diversité d’opinion et à la liberté d’expression. C’est ce qui enrichit l’espace démocratique. La richesse d'une société, que ce soit au sein d'un Québec souverain ou d'un Québec au sein du Canada sera toujours évaluée par sa capacité de permettre la liberté d'expression, la cohabitation et la diversité d'idées. Si le Québec devient souverain, il devra favoriser généreusement la diversité d'opinions. A contrario, s'il reste au sein du Canada, les péquistes pourront toujours persévérer en démontrant que leur parti fait avant tout partie du camp de la démocratie et de la diversité d'opinions. À l'heure actuelle, nous faisons face à deux étapes distinctes. La première est de libérer, comme média, La Presse+ du joug de cette loi anachronique datant de 1967. La deuxième étape viendra plus tard. Réglons d’abord le premier débat en abrogeant la loi désuète de 1967. Le jour où l'OBNL La Presse+ cognera à la porte de l'État pour demander du financement, celle-ci pourra toujours disposer de cette demande au mérite, selon des règles bien définies. Mais d'ici là, le Parti québécois et la députée indépendante Martine Ouellet doivent faire la démonstration que leur hésitation n'est pas le résultat d'une attitude partisane revancharde contre la famille Desmarais. Un peu plus de respect envers les journalistes de La Presse serait apprécié. Démontrez que vous serez toujours prêts à favoriser la diversité d'opinion et la liberté d'expression au sein de la société québécoise, peu importe le choix qu'elle favorisera pour son avenir. Alain Saulnier Professeur invité au département de communication de l'Université de Montréal. (En toute transparence, je dois rappeler que je suis membre du conseil d'administration du Devoir et que cette opinion n'engage que moi.)

mercredi 6 juin 2018

Avenir de La Presse
L'État québécois doit abroger la loi de 1967. Point final.

Comme plusieurs, je m'inquiète de l'avenir des médias au Québec, plus particulièrement celui de ces médias qu'on qualifiait de "presse écrite" dans le passé. On l'a vu, dans l'étude du Forum des politiques publiques publiée l'année dernière, la presse écrite est vouée à une lente agonie si rien n'est fait pour lui venir en aide. En janvier 2017, l'étude "Le miroir éclaté" précisait en effet que 70% des revenus publicitaires sur internet étaient accaparés à eux seuls par Google et Facebook. Une année plus tard, on parle plutôt de 80%. Il ne reste que des miettes pour les médias. Il y a bel et bien péril en la demeure.
La Presse propose la création d'une OBNL. Il reste beaucoup d'éclaircissements à apporter sur cette nouvelle structure d'entreprise, j'en conviens. Pour ma part, je partage avec d'autres certaines préoccupations.
Toutefois, ce débat n'a pas sa place à l'Assemblée Nationale. Depuis qu'une loi privée a été adoptée en 1967, l'État Québécois a un droit de regard sur l'avenir et la trajectoire de La Presse. C'est aberrant qu'en 2018, 50 ans plus tard, un média doive se soumettre à la bonne et unanime volonté de tous les députés et partis politiques à Québec pour décider de son avenir. À l'occasion de cette commission parlementaire, je joins ma voix à d'autres organisations syndicales et professionnelles de journalistes pour souligner que l'État n'a pas à s'ingérer dans la gestion des médias ni dans sa ligne éditoriale. Cette loi désuète constitue une incongruité dont il faut se débarrasser. Elle doit être abrogée.
Les partis politiques québécois n'ont pas à profiter de cet anachronisme pour faire le procès de quel que journal que ce soit, La Presse y compris. Or, l'occasion est trop belle pour certains de régler des comptes avec La Presse et ses journalistes.
Mais encore une fois, ce n'est pas le forum pour tenir ce débat. Ce n'est pas à l'État québécois et aux partis politiques de faire comparaître un média pour le juger.
Il faut donc que les deux enjeux soient dissociés. Mettre un point final à cette loi totalement anachronique, est le seul débat pour lequel les hommes et femmes politiques de tous les partis politiques à Québec devraient être appelés à se prononcer.
L'autre débat, la structure organisationnelle et éditoriale de la nouvelle Presse+, appartient d'abord et avant tout au média concerné et à ses journalistes, à l'opinion publique, aux organisations professionnelles et syndicales de journalistes. Comme d'autres, j'ai certainement des inquiétudes et des préoccupations à cet égard. Je me sens habilité pour le faire, ce qui n'est pas le cas de l'Assemblée Nationale qui n'a rien à faire dans la chambre à coucher des médias.

Alain Saulnier
Note de l'auteur
En toute transparence, je dois préciser que je ne parle qu'en mon nom personnel et que je siège au conseil d'administration du Devoir depuis deux ans.
Je reste un observateur attentif et inquiet de l'avenir des médias québécois.

vendredi 18 mai 2018

Le projet de loi sur l'accès à l'information: un petit pas de tango


Avant-propos
Je suis avec intérêt tous les débats entourant la loi d'accès à l'information. Avec plusieurs collègues dont Jean Paré, le "père" de la Loi d'accès à l'information au Québec, nous avons dénoncé en mars dernier, la loi 164 qui a eu pour effet de restreindre davantage l'accès à des documents ministériels du gouvernement québécois. Décision décevante, puisque les trois principaux partis politiques à l'Assemblée Nationale avaient fait front commun contre l'intérêt public. Nous étions loin de l'engagement du premier ministre Couillard de diriger le gouvernement le plus transparent de l'Histoire du Québec.
Le 2 mai dernier, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) et les directions des grands médias du Québec pressaient le gouvernement québécois de déposer rapidement la nouvelle loi d'accès à l'information promise par la ministre responsable Kathleen Weil. 
Le 17 mai, la ministre a finalement déposé son projet de loi. Avec mes collègues Monique Dumont et André Noël, nous avons tenu à contribuer au débat public avec nos premières impressions sur ce projet de loi. Le texte qui suit est donc signé par nous trois.


Le projet de loi sur l’accès à l’information : un petit pas de tango

L’ensemble du projet de loi 179, qui vient modifier la Loi d’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (la Loi d’accès), donne l’impression d’un tango mal dansé, avec des pas en avant, suivis de pas en arrière. «Trop peu, trop tard», comme le dit la FPJQ dans son communiqué.

Cela dit, le projet de loi compte bel et bien quelques avancées. Des avancées qui sont le résultat direct des pressions exercées ce printemps par la FPJQ et les directeurs de presque tous les médias d’importance au Québec. Rappelons que ces derniers terminaient ainsi leur lettre ouverte, publiée le 2 mai : «Nous vous demandons de déposer et faire adopter un nouveau projet de loi sur l’accès à l’information avant la prochaine élection. Le dépôt de ce projet de loi sera l’occasion de le soumettre à un examen approfondi du public et des experts en ce domaine afin de corriger les lacunes actuelles de la loi. Le temps presse.»

Petite victoire, donc : un projet de loi a été déposé. Déception prévisible : le gouvernement Couillard a attendu à la dernière minute pour le déposer… tout en se préparant à ne pas l’adopter, faute de temps. Mais si des pressions continuent de s’exercer, le prochain gouvernement – quel qu’il soit – devra bien moderniser et modifier la Loi d’accès en profondeur. Il ne pourra pas proposer moins que ce que propose le projet de loi 179. Il pourra seulement proposer plus.

Nous avons fait une analyse rapide des nouvelles dispositions. En voici les grandes lignes.

Il est intéressant de noter, dès l’article 2, que le projet de loi considère «qu’une administration publique transparente et ouverte favorise la saine gouvernance, l’imputabilité et la participation citoyenne». Cela devra demeurer tel quel dans un éventuel prochain projet de loi. Mais ensuite, pourquoi tempérer l’importance de ce principe en ajoutant «l’importance de maintenir la capacité du gouvernement de fonctionner efficacement»? C’est justement la transparence qui permet au gouvernement de fonctionner efficacement et dans l’intérêt public. Cette dernière notion – l’intérêt public – doit d’ailleurs figurer, selon nous, parmi les «considérant».

Cette fausse opposition entre efficacité et transparence vient contaminer toute la Loi d’accès et atténuer sa portée. L’article 3 du projet de loi 179 stipule avec raison que les restrictions au droit d’accès doivent être «précises et limitées». Les restrictions prévues à l’article 37 de la Loi actuelle, et derrière lesquelles se réfugient régulièrement les organismes publics pour refuser l’accès à leurs documents, sont ainsi un peu mieux précisées. Cet article 37 stipule que «Un organisme public peut refuser de communiquer un avis ou une recommandation faits depuis moins de dix ans». Le projet de loi 179 précise entre autres choses que «ne constituent pas un avis, une recommandation ou une analyse […] une information factuelle [et] une donnée statistique.» C’est insuffisant, mais c’est un pas en avant.

Le projet de loi n’abroge pas la disposition touchant les demandes «abusives», souvent invoquée par des organismes réticents à donner accès à leurs documents.

N’est toujours pas accessible «un document produit par un ministre ou par son cabinet; par un membre de l’Assemblée nationale; […] par un membre d’un organisme municipal ou scolaire, par son bureau ou par son cabinet; par les services de l’Assemblée nationale, pour un des membres de celle-ci. Le ministre ou le membre peut rendre accessible un tel document s’il le juge opportun.». Cela signifierait-il, par exemple, que les documents produits par le ministre de la Santé ou son cabinet sur les réformes des récentes années ne peuvent pas être connus du public?

L’article 8 précise que le responsable de l’accès au sein d’un organisme est généralement un sous-ministre ou un directeur général, et non pas une personne occupant une fonction politique comme un ministre. Mais rien n’interdit spécifiquement à un ministre ou une personne occupant une fonction politique de s’informer des demandes d’accès visant son organisme.

Une disposition importante de la Loi d’accès, qui prévoyait la divulgation de la partie publique des mémoires au conseil des ministres, a été abrogée l’hiver dernier, avec l’adoption à la sauvette de la loi 164 (Loi concernant l’accessibilité de certains documents du Conseil exécutif ou qui lui sont destinés). Résultat : les Québécois ne pourront pas comprendre sur quoi le gouvernement s’est basé pour adopter telle ou telle loi. Le projet de loi 179 apporte une nuance en autorisant le secrétaire général du Conseil exécutif «à communiquer un renseignement visé» avant l’expiration d’un délai de 15 ans «lorsqu’il estime que sa divulgation est manifestement dans l’intérêt public». Voilà aussi qui est insuffisant. Dans ce cas, le gouvernement devra respecter l’ordre qui lui a été donné par la Cour d’appel dans la cause de Radio-Canada sur le dossier des orphelins de Duplessis et faire en sorte que des parties cruciales des mémoires au conseil des ministres soient automatiquement accessibles.

L’article 5 du projet de loi 179 élargit l’accès aux documents des organismes paramunicipaux, ce qui est une bonne chose, mais voilà une figure de tango ratée où le danseur écrase les pieds de sa partenaire en ajoutant que cette disposition touche seulement les organismes «dont les revenus annuels sont égaux ou supérieurs à 1 000 000$ et dont une municipalité contribue à plus de la moitié du financement».

Saluons ces nouvelles dispositions qui obligeraient les organismes publics à «adopter un plan de diffusion de documents et renseignements accessibles», qui seraient publiés sur Internet (art. 34). Mais nous soulignons que bien des organismes publics violent depuis des années de nombreuses dispositions de la Loi, par exemple en ne dressant pas une liste complète et accessible de leurs documents ou en ne répondant pas aux demandes d’accès dans les délais requis. La Commission d’accès a elle-même demandé au gouvernement d’avoir le pouvoir de sanctionner et de mettre les organismes fautifs à l’amende, mais le projet de loi 179 ne lui octroie toujours pas ce pouvoir. C’est bien d’avoir une belle loi et de beaux principes, mais encore faut-il que le refus de nombreux organismes de s’y plier soit sévèrement puni, ce qui n’a pas été le cas jusqu’à maintenant. Une situation qui n’est toujours pas corrigée. À défaut d’un mécanisme de sanction efficace (et confié à la CAI), l’augmentation des amendes prévue par l’article 76 du projet de loi 179 ne signifie pas grand chose.

Enfin, comme le souligne la FPJQ, «rien n’oblige les organismes à documenter leurs décisions, ce qui signifie qu’un ministère, une municipalité ou n’importe quel organisme public peut adopter une loi ou un règlement sans avoir à produire des documents justificatifs». Bref, la promesse du premier ministre Philippe Couillard d’assurer la plus grande transparence du gouvernement québécois n’est jusqu’à maintenant… qu’une promesse.

Les journalistes et la société civile devront accroître leurs pressions. La meilleure solution consisterait à créer une nouvelle commission pour modifier en profondeur la Loi d’accès, une commission indépendante du gouvernement qui ferait des recherches et qui mènerait des consultations, à l’image de la commission créée par le gouvernement de René Lévesque et qui avait été dirigée par le journaliste Jean Paré, il y a de cela plus de trois décennies.

Monique Dumont, André Noël, Alain Saulnier
18 mai 2018

mardi 8 mai 2018

La Presse devient la propriété d'une OBNL

Personne n'avait vu venir le coup. La Presse, propriété de Power Corporation, devient une organisation à but non lucratif, une OBNL.
Mettons les choses au clair. La Presse est un grand média qui compte dans ses rangs plusieurs des meilleurs journalistes et chroniqueurs au Québec. Les Yves Boisvert, Nathalie Collard, Agnès Gruda, Patrick Lagacé, Michèle Ouimet (nouvellement retraitée), Laura-Julie Perrault, et bien d'autres,  contribuent jour après jour à enrichir le débat public au Québec et nous ouvrir au monde. Nous en avons grandement besoin.
Lorsque La Presse+ a été créée, j'ai salué l'audace de ses propriétaires. C'était tout un pari, mais il valait la peine d'essayer. Les propriétaires de La Presse suscitaient l'espoir que le passage au numérique pour les grands médias traditionnels était du domaine du possible. On a aussi salué cette audace ailleurs dans le monde.
Or, personne à l'époque n'aurait pu prévoir à quelle vitesse vertigineuse les géants du web comme Facebook et Google s'apprêtaient à tout balayer sur leur passage. Ils établissent totalement leur suprématie dans l'univers numérique. Ils en sont les véritables propriétaires. Aujourd'hui, près de 80% des revenus publicitaires en ligne sont accaparés à eux seuls, par ces deux géants du web. Du jamais vu! Le pire, c'est que non seulement ils accaparent les recettes publicitaires, mais ils piratent gratuitement les contenus des journalistes...sans rendre de compte à personne. De plus, 70% des moins de 35 ans s'informent maintenant principalement par l'intermédiaire de Facebook. J'ai souvent dit aux plus jeunes à quel point ils contribuaient à affaiblir nos médias nationaux en les boudant au profit de Facebook. Nos médias et nos cultures nationales se font ainsi littéralement écraser par ces géants du web.
Il faudra bien un jour s'atteler à la tâche de sauver nos informations et notre culture. Mais comment, quel est le bon modèle d'affaires? Voilà la question.
La Presse doit rester en vie et en bonne santé. Elle est essentielle. Chaque média menacé signifie un affaiblissement de la diversité d'opinion et de la liberté d'expression au Québec. C'est inquiétant pour l'avenir de notre société et pour notre démocratie.
En attendant, une OBNL prend le relais. Un autre pari audacieux. Tant mieux si cela fonctionne, mais il s'agit d'une solution vulnérable. Miser sur les fonds publics et la philanthropie, est-ce là le modèle d'affaires alternatif? Tous les médias rivaliseront les uns avec les autres pour obtenir leur financement respectif. La dépendance à l'égard des fonds publics comporte aussi sa zone d'ombre selon les gouvernements élus. Quant aux milliardaires philanthropes, ils ne courent pas les rues non plus.
Je souhaite bonne chance à ce projet. Nous avons besoin de journalistes rigoureux et solides pour contrer la désinformation qui prend trop d'espace sur Facebook et les réseaux sociaux.

Merci 2022. Place à 2023

  Merci 2022! En janvier, je mettais fin à dix années comme professeur au DESS en journalisme à l’Université de Montréal. 2022 restera une a...