Les défis
de la nouvelle présidente de Radio-Canada/CBC
Catherine Tait est la nouvelle présidente de
Radio-Canada/CBC. La ministre Mélanie Joly a mis fin à la valse hésitation qui
avait provoqué le prolongement du mandat d’Hubert T. Lacroix à la tête de
Radio-Canadas/CBC.
Catherine Tait est porteuse d’un renouveau.
Elle est la première femme à la tête de la société d’État, ce qui est une bonne
nouvelle. Elle possède également une connaissance directe de la production à
l’ère numérique, ce qui constitue un atout indéniable en cette ère numérique.
Quels sont ses défis ?
Faire
de Radio-Canada/CBC un rempart contre les géants du web
Le principal défi de la nouvelle présidente
sera de faire de Radio-Canada/CBC un véritable rempart contre les géants du
web. Ces géants qui imposent une homogénéisation et une américanisation de la
culture et de l’information. Une culture largement imposée par Netflix, par
Google et son bras audiovisuel YouTube, par les liens privilégiés des
algorithmes de Facebook et par les choix musicaux de iTunes et de Spotifiy. Et
bien d’autres géants qui ont tous en commun de bousculer les cultures et les
informations nationales au pays.
C’est ce rôle de défenseur des cultures et des
informations nationales qui peut constituer le cœur du nouveau mandat de
Radio-Canada. Un rempart contre l’américanisation des ondes et de l’univers
numérique. Pour les mêmes raisons qui avaient été à l’origine de la création d’un
radiodiffuseur public, en 1936, puis d’un télédiffuseur public, en 1952. Il
s’agissait de contrer l’invasion des ondes américaines. Or, c’est le même phénomène
d’invasion des territoires canadien et québécois qui se produit depuis
l’avènement de l’ère numérique.
Les géants du web, principalement américains,
veulent inonder notre marché et imposer leurs vues et leurs visions de la
culture et de l’information. Du même coup, ils détournent les revenus publicitaires
et commerciaux à leur avantage, comme Facebook et Google le font en accaparant
75% des revenus publicitaires en ligne. Comme Netflix le fait avec ses
abonnements en constance progression dans le domaine des contenus télévisés et
du cinéma.
En fait, ce sont eux, les propriétaires de
l’univers numérique. Comment alors s’y trouver un espace? C’est là où un
diffuseur public peut contribuer à occuper une partie du territoire. Aucun
géant du web ne saurait remplacer des reportages d’Enquête ou des émissions
culturelles de qualité comme ce qui est proposé (pas toujours à la perfection, on
en convient… ) par le diffuseur public.
Indépendance
à l’égard du pouvoir politique
Un rôle qui doit s’affirmer en toute
indépendance du pouvoir politique à Ottawa. On a trop connu l’inverse durant le
règne de son prédécesseur alors que la vaste majorité des membres du conseil
d’administration avaient fait des contributions au Parti Conservateur. On
n’insistera jamais assez sur un principe clé : Radio-Canada est un
diffuseur au service du public, et non un diffuseur au service de l’État
canadien. Cela a des implications, certes, pour le service de l’information de
Radio-Canada, mais aussi pour les autres secteurs qui doivent avoir toute la
latitude nécessaire pour traiter de tous les sujets, en toute indépendance.
Distinguer
les marchés de Radio-Canada et de CBC
Du même coup, les services français de Radio-Canada
doivent conserver leur marge de manœuvre au sein de l’entreprise. Mettre fin à
cette idée d’une seule entreprise le « one company » qu’avait imposée
Hubert T. Lacroix.
En ce sens, Radio-Canada doit être résolument
au service des francophones du Québec, de l’Acadie et des autres provinces. Cela
doit être réaffirmé énergiquement dans le nouveau mandat. Pour ce faire, donner
l’autonomie nécessaire à l’entité Radio-Canada au sein de l’entreprise pour
bien servir les marchés propres aux francophones. Cela implique que la nouvelle
présidente devra mieux assimiler les particularités du marché québécois en
particulier et laisser une large part d’autonomie à la vice-présidence des
services français.
Investir
à fond l’univers numérique
Investir à fond l’univers numérique en
privilégiant la création et non pas que l’achat des technologies « dernier
cri ». Privilégier les nouvelles expériences comme celle de RAD, issue
d’un laboratoire qui a regroupé l’énergie et la créativité de jeunes
radio-canadiens.
L’expertise de Catherine Tait sera très utile
car elle pourra comprendre les enjeux que comporte cet univers, sur les plans
de la production, de la création et de l’exportation des contenus. Aujourd’hui,
les frontières des territoires autrefois occupés par la télévision, la radio et
même ce qu’on appelait, il y a quelques années à peine, les « nouveaux
médias » sont en train d’éclater. Tous les médias sont dépassés par les
nouveaux formats, les nouvelles habitudes d’écoute, les nouvelles plateformes,
l’arrivée de nouvelles applications et surtout l’invasion des géants du web. Il
faut une force solide pour occuper une partie de ce territoire. Cette nouvelle
réalité change radicalement la donne.
Enrichir par cette production numérique nos
cultures destinées au public d’ici tout en l’offrant massivement partout dans
le monde.
Radio-Canada peut être un leader à ce titre en
faisant de la production originale et des partenariats avec les producteurs et
les créateurs d’ici. Cela inclut toute cette nouvelle production exceptionnelle
issue du milieu de l’art et de la créativité numérique au Québec. Pourquoi ne
pas favoriser également un rapprochement avec l’Office national du film qui
s’est déjà inscrit dans la modernité numérique depuis les dernières
années ?
Le diffuseur public peut donc jouer un rôle
majeur dans ce nouvel écosystème mondial en favorisant le rayonnement et
l’exportation de cette production partout dans le monde.
La
culture et l’information destinées aux francophones
La situation particulière des francophones au
pays nécessite une offre de programmation ciblée, sur toutes les plateformes et
tous les territoires de l’univers numérique. Le défi est d’aller chercher en
particulier les francophones de moins de 35 ans qui s’informent principalement
par le truchement de Facebook. Leur offrir aussi massivement des contenus
culturels francophones sur leurs appareils mobiles et leurs ordinateurs afin de
contrer l’invasion de Youtube, Netflix, et les diffuseurs de contenus musicaux.
Offrir aux francophones une place de choix pour
les reportages d’enquête. Leur proposer davantage d’information internationale.
Ce sont là, les façons de distinguer l’offre de contenus de Radio-Canada des
diffuseurs privés.
L’éléphant
dans la pièce
Enfin, l’éléphant qui est dans la pièce est la
trop grande dépendance de Radio-Canada des revenus publicitaires et commerciaux.
Aujourd’hui, cette dépendance s’établit à 34% du financement du diffuseur
public. C’est beaucoup trop, surtout qu’il n’y a pas de publicité à la radio.
Cela éloigne le diffuseur public de son mandat. On l’a souvent vu lorsqu’il a
été question de faire des choix de programmation en heure de grande écoute en
direct à la télévision. Nul doute, que si cette approche
« commerciale » n’est pas modifiée, elle sera transférée au secteur de
la programmation numérique. Cela contaminera inévitablement toute stratégie
future de programmation dans l’espace numérique.
Immense défi, que celui de Catherine Tait.
Elle a entre ses mains un superbe joyau de la culture et de l’information. Elle
peut constituer ce rempart contre les géants du web. Le défi est énorme, mais il
n’est pas impossible.
Alain Saulnier
Ancien directeur général de l’information de
Radio-Canada
Professeur invité
DESS en journalisme
Université de Montréal