mercredi 21 août 2019

Groupe Capitales Médias. Au delà du choc, quelle est la suite?


Groupe Capitales médias
Au delà du choc, quelle est la suite ?

L’onde de choc est difficile à encaisser. De grands quotidiens tels Le Soleil, La Tribune, Le Nouvelliste, Le Quotidien, La Voie de l’Est, Le Droit et Le Progrès sont acculés à la faillite. Dans l’immédiat, les dégâts auront heureusement été évités par l’intervention rapide du gouvernement. Intervention qu’il faut saluer.
Toutefois, la démocratie régionale, celle des communautés locales, des pouvoirs régionaux, des citoyens et des citoyennes est toujours menacée au delà de la date fixée du 31 décembre 2019 par le ministre Fitzgibbon.
Au delà de ce choc que se passe-t-il ? On aura toujours besoin de médias régionaux. Ils sont essentiels. On l’a répété.
Hier, dans l’onde de choc, on a peu parlé des dommages collatéraux de cette fermeture évitée de justesse. Par exemple, sur l’agence de la Presse canadienne. On a peu dit que si vous fermez ces quotidiens, vous retirez du même coup les revenus provenant des quotidiens du Groupe Capitales Médias qui contribuent à faire vivre l’agence de la Presse canadienne.
De plus, de nombreux autres médias ne pourraient plus offrir la même quantité et la qualité d’informations sans la participation des journalistes de la PC. C’est le cas de La Presse, Le Devoir, Le Droit, le journal Métro, le Huffington Post, Radio-Canada et bien d’autres. Bref, tout l’écosystème des médias en subirait les conséquences.
Combien de journalistes de la PC pourront demeurer en poste si une telle situation devait se produire ?

« Repreneurs » recherchés
Des « repreneurs » se manifesteront bientôt. Mais lesquels ? Si ce devait être Québecor, on créerait de nouveaux problèmes. D’abord celui de la concentration de la presse qu’on juge déjà démesurée des médias de Pierre Karl Péladeau au Québec. De plus, si Québecor devait reprendre les quotidiens du Groupe Capitales Médias, en tout ou en partie, cela signifie que le nouveau propriétaire imposera sa propre agence de nouvelles, QMI. Exit, les textes de la Presse canadienne. Autre mort annoncée en vue, donc.
Enfin, autre dommage collatéral : si Québecor devient le « repreneur » de toutes les propriétés de Capitales Médias, il retirera sans nul doute celles-ci du Conseil de Presse du Québec. Rappelons que Québecor s’oppose au Conseil de Presse depuis plusieurs années, allant même jusqu’à le contester en cour. Cela menacerait l’existence même du Conseil de Presse.
Par conséquent, le groupe chargé d’examiner les offres d’éventuels « repreneurs » devra avoir aussi à l’esprit quelques notions d’équilibre, de diversité des sources journalistiques et non uniquement des notions de plan d’affaires, de pertes et de profits. On jongle ici avec la qualité de la vie démocratique au Québec.
Par ailleurs, plusieurs médias tentent de développer des alternatives au modèle d’affaires traditionnel qui s’appuyait jusqu’ici sur la vente de publicité. On l’a vu, ce modèle a été bousculé, voire « bulldozé » par les géants du web Facebook et Google, en particulier. 80% des revenus numériques ont été détournés vers ces deux seuls géants.
C’est entre autres la raison pour laquelle La Presse a développé un modèle d’OBNL misant sur la philanthropie. On espère que la recette sera la bonne. Car là aussi ce serait une tragédie si l’information de qualité de La Presse devait disparaître.
De son côté, Le Devoir a développé un modèle qui s’appuie sur les revenus d’abonnements et la philanthropie. À ce jour, cette stratégie semble leur sourire car les résultats financiers sont bons, encore cette année[1]. (NDLR : en toute transparence, je dois préciser que je siège au conseil d’administration du quotidien Le Devoir)
On souhaite également que les mesures annoncées par le gouvernement fédéral d’aide aux médias (crédits d’impôt et autres mesures) soient mises en application au plus vite, car Il y a urgence aussi bien pour les médias régionaux que nationaux.

Une stratégie de cohabitation avec les superpuissances numériques
Quoi qu’il en soit, il devient évident qu’on ne peut régler à la pièce, cas par cas, la crise des médias. Dans le mémoire que j’ai déposé à l’intention de la commission permanente de la culture et de l’éducation qui se penchera la semaine prochaine sur l’avenir des médias, j’ai écrit : « on ne panse pas une blessure ouverte avec un simple sparadrap » (diachylon, si vous préférez). Car, telle est la situation : les superpuissances numériques imposent leurs lois au détriment de celles des États nationaux. Elles font fi des règlementations nationales de diffusion et de publication, des règles nationales en matière de fiscalité et de taxation, des droits d’auteur. Il y a une quarantaine d’années, le chef du NPD, David Lewis, qualifiait les superpuissances d’alors de « Corporate Welfare bums ».
Aussi serait-il temps pour nos États, à Québec comme à Ottawa, de faire front commun pour que ces superpuissances se comportent comme de bons citoyens corporatifs. Qu’elles paient des impôts, des taxes. Qu’elles respectent les droits d’auteur des journalistes et des médias. Qu’elles versent un pourcentage défini sur leurs profits et leurs chiffres d’affaires.
(La France a établi une taxe de 3% du chiffre d’affaires pour les GAFA). Cet argent pourrait être ensuite redirigé et versé dans un nouveau Fonds des médias, ouvert à tous les médias (écrits, audio-visuels, numériques).
Le Canada, le Québec ne peuvent agir seuls à cet égard. Ils devront nécessairement se concerter avec ces pays européens qui donnent déjà l’exemple. Pas avec les États-Unis qui dénoncent toute intervention contre les GAFA.
S’il y a urgence, cela signifie que chaque palier de gouvernement, tous les parlementaires, à Ottawa comme à Québec doivent travailler à élaborer une stratégie globale afin de contrer les superpuissances du web et établir des règles équitables de cohabitation. C’est, entre autres ainsi, que nous pourrons miser sur des revenus qui permettront d’assurer la survie de nos cultures et de nos médias tant nationaux que régionaux.
Alain Saulnier
Professeur invité
Département de communication
Université de Montréal



[1] En toute transparence, je dois préciser que je siège au conseil d’administration du Devoir

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