Groupe Capitales
médias
Au delà du choc, quelle est la
suite ?
L’onde
de choc est difficile à encaisser. De grands quotidiens tels Le Soleil, La
Tribune, Le Nouvelliste, Le Quotidien, La Voie de l’Est, Le Droit et Le Progrès
sont acculés à la faillite. Dans l’immédiat, les dégâts auront heureusement été
évités par l’intervention rapide du gouvernement. Intervention qu’il faut
saluer.
Toutefois,
la démocratie régionale, celle des communautés locales, des pouvoirs régionaux,
des citoyens et des citoyennes est toujours menacée au delà de la date fixée du
31 décembre 2019 par le ministre Fitzgibbon.
Au
delà de ce choc que se passe-t-il ? On aura toujours besoin de médias
régionaux. Ils sont essentiels. On l’a répété.
Hier,
dans l’onde de choc, on a peu parlé des dommages collatéraux de cette fermeture
évitée de justesse. Par exemple, sur l’agence de la Presse canadienne. On a peu
dit que si vous fermez ces quotidiens, vous retirez du même coup les revenus provenant
des quotidiens du Groupe Capitales Médias qui contribuent à faire vivre
l’agence de la Presse canadienne.
De plus,
de nombreux autres médias ne pourraient plus offrir la même quantité et la qualité
d’informations sans la participation des journalistes de la PC. C’est le cas de
La Presse, Le Devoir, Le Droit, le journal Métro, le Huffington Post,
Radio-Canada et bien d’autres. Bref, tout l’écosystème des médias en subirait
les conséquences.
Combien
de journalistes de la PC pourront demeurer en poste si une telle situation
devait se produire ?
« Repreneurs » recherchés
Des
« repreneurs » se manifesteront bientôt. Mais lesquels ? Si ce
devait être Québecor, on créerait de nouveaux problèmes. D’abord celui de la concentration
de la presse qu’on juge déjà démesurée des médias de Pierre Karl Péladeau au
Québec. De plus, si Québecor devait reprendre les quotidiens du Groupe
Capitales Médias, en tout ou en partie, cela signifie que le nouveau
propriétaire imposera sa propre agence de nouvelles, QMI. Exit, les textes de
la Presse canadienne. Autre mort annoncée en vue, donc.
Enfin,
autre dommage collatéral : si Québecor devient le « repreneur »
de toutes les propriétés de Capitales Médias, il retirera sans nul doute
celles-ci du Conseil de Presse du Québec. Rappelons que Québecor s’oppose au
Conseil de Presse depuis plusieurs années, allant même jusqu’à le contester en
cour. Cela menacerait l’existence même du Conseil de Presse.
Par
conséquent, le groupe chargé d’examiner les offres d’éventuels « repreneurs »
devra avoir aussi à l’esprit quelques notions d’équilibre, de diversité des
sources journalistiques et non uniquement des notions de plan d’affaires, de pertes
et de profits. On jongle ici avec la qualité de la vie démocratique au Québec.
Par
ailleurs, plusieurs médias tentent de développer des alternatives au modèle
d’affaires traditionnel qui s’appuyait jusqu’ici sur la vente de publicité. On
l’a vu, ce modèle a été bousculé, voire « bulldozé » par les géants
du web Facebook et Google, en particulier. 80% des revenus numériques ont été
détournés vers ces deux seuls géants.
C’est
entre autres la raison pour laquelle La Presse a développé un modèle d’OBNL
misant sur la philanthropie. On espère que la recette sera la bonne. Car là
aussi ce serait une tragédie si l’information de qualité de La Presse devait
disparaître.
De
son côté, Le Devoir a développé un modèle qui s’appuie sur les revenus d’abonnements
et la philanthropie. À ce jour, cette stratégie semble leur sourire car les
résultats financiers sont bons, encore cette année[1].
(NDLR : en toute transparence, je dois préciser que je siège au conseil
d’administration du quotidien Le Devoir)
On
souhaite également que les mesures annoncées par le gouvernement fédéral d’aide
aux médias (crédits d’impôt et autres mesures) soient mises en application au
plus vite, car Il y a urgence aussi bien pour les médias régionaux que
nationaux.
Une stratégie de cohabitation avec
les superpuissances numériques
Quoi
qu’il en soit, il devient évident qu’on ne peut régler à la pièce, cas par cas,
la crise des médias. Dans le mémoire que j’ai déposé à l’intention de la
commission permanente de la culture et de l’éducation qui se penchera la
semaine prochaine sur l’avenir des médias, j’ai écrit : « on ne panse
pas une blessure ouverte avec un simple sparadrap » (diachylon, si vous
préférez). Car, telle est la situation : les superpuissances numériques imposent
leurs lois au détriment de celles des États nationaux. Elles font fi des
règlementations nationales de diffusion et de publication, des règles
nationales en matière de fiscalité et de taxation, des droits d’auteur. Il y a
une quarantaine d’années, le chef du NPD, David Lewis, qualifiait les
superpuissances d’alors de « Corporate Welfare bums ».
Aussi
serait-il temps pour nos États, à Québec comme à Ottawa, de faire front commun
pour que ces superpuissances se comportent comme de bons citoyens corporatifs.
Qu’elles paient des impôts, des taxes. Qu’elles respectent les droits d’auteur
des journalistes et des médias. Qu’elles versent un pourcentage défini sur
leurs profits et leurs chiffres d’affaires.
(La
France a établi une taxe de 3% du chiffre d’affaires pour les GAFA). Cet argent
pourrait être ensuite redirigé et versé dans un nouveau Fonds des médias,
ouvert à tous les médias (écrits, audio-visuels, numériques).
Le
Canada, le Québec ne peuvent agir seuls à cet égard. Ils devront nécessairement
se concerter avec ces pays européens qui donnent déjà l’exemple. Pas avec les
États-Unis qui dénoncent toute intervention contre les GAFA.
S’il
y a urgence, cela signifie que chaque palier de gouvernement, tous les
parlementaires, à Ottawa comme à Québec doivent travailler à élaborer une
stratégie globale afin de contrer les superpuissances du web et établir des
règles équitables de cohabitation. C’est, entre autres ainsi, que nous pourrons
miser sur des revenus qui permettront d’assurer la survie de nos cultures et de
nos médias tant nationaux que régionaux.
Alain
Saulnier
Professeur
invité
Département
de communication
Université
de Montréal
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